Tourisme durable, agir en anticipation ou en réaction

Chloé Rezlan

Poste : Avocate au barreau de Paris, co-fondatrice du cabinet Adeona Avocats

Qu’est-ce que pour vous le tourisme responsable ? Est-il défini en droit français ?

Le « tourisme responsable » fait en réalité l’objet de différentes appellations selon l’aspect concerné (social, culturel, naturel) qui est le plus valorisé lors du voyage : tourisme durable, écotourisme, tourisme solidaire, slow tourism, tourisme éco-responsable… Etant juriste, difficile pour moi d’évoquer un concept sans me référer à sa définition textuelle. Or aucun des concepts évoqués n’est défini dans le Code du tourisme, ni d’ailleurs dans aucun code ou texte en droit français. Pour trouver une définition du « tourisme durable », il faut ainsi se référer à celle donnée par les organisations internationales, telle que l’Organisation mondiale du tourisme (OMT).

L’OMT définit le tourisme durable comme un tourisme « qui tient pleinement compte de ses impacts économiques, sociaux et environnementaux actuels et futurs, en répondant aux besoins des visiteurs, des professionnels, de l’environnement et des communautés d’accueil ».

Les principes du tourisme durable ont été précisés en 1995 lors de la conférence mondiale du tourisme durable de Lanzarote dans la Charte du tourisme durable, puis actualisés en 2004 par le comité de développement durable du tourisme de l’OMT. Cela fait donc plus de 20 ans que les concepts ont été posés au niveau international, mais rien n’a été transposé efficacement en droit interne français. Le tourisme, pour être qualifié de durable, doit ainsi :

– exploiter de façon optimisée les ressources de l’environnement qui constituent un élément clé de la mise en valeur touristique ;

– respecter l’authenticité socioculturelle des communautés d’accueil, conserver leurs atouts culturels bâtis et vivants et leurs valeurs traditionnelles et contribuer à l’entente et à la tolérance interculturelles ;

– assurer une activité économique viable sur le long terme offrant à toutes les parties prenantes des avantages socioéconomiques équitablement répartis, notamment des emplois stables.

Lorsque l’on se réfère à une norme ou à une définition, il est essentiel de s’interroger sur ce que l’on appelle la portée juridique de cette norme. Est-elle contraignante ? Est-elle indicative? La définition édictée par l’OMT est précisément dépourvue de portée normative contraignante. Il s’agit de ce que l’on appelle de la « soft law ». ll en va de même de la plupart des chartes, recommandations, « guidelines ». Ainsi, bien qu’elle soit définie par des organismes non gouvernementaux à échelle mondiale, la notion de tourisme durable ou responsable n’a pas été intégrée dans le Code du tourisme à l’occasion de sa refonte en 2018 et n’est donc pas présente dans le Code puisqu’aucune référence n’est faite au tourisme durable dans la Directive 2015/2302.

 

Quelles sont les conséquences d’une telle absence de définition ?

Certaines dispositions législatives françaises font référence à des mesures visant à responsabiliser les acteurs du tourisme et prévoient des obligations visant à améliorer l’impact des activités humaines et notamment touristiques sur la santé de la planète et de ses habitants. Le fait que le législateur ne prenne même pas la peine de définir la notion, les objectifs vers lesquels tendre ou encore les pratiques correspondantes a selon moi plusieurs conséquences possibles :

– la facilitation du greenwashing par certains acteurs ;

– la difficulté pour les acteurs (et notamment les professionnels) d’identifier leurs obligations et les respecter. Je rencontre de nombreux professionnels et consommateurs soucieux de mieux faire. Mais en l’absence d’un cadre juridique clair et face à la multitude d’outils non-contraignants existants (chartes, labels, rapports…), il est parfois délicat de s’y retrouver.

 

Qu’est-ce que le greenwashing appliqué au secteur du tourisme ? Est-il sanctionné en France ?

Le greenwashing (ou allégations environnementales) est une « pratique consistant à laisser entendre ou à donner l’impression de toute autre manière (dans une communication commerciale, le marketing ou la publicité) qu’un bien ou service a un effet positif ou n’a pas d’incidence sur l’environnement ou est moins néfaste pour l’environnement que les biens ou services concurrents ». Le rapport de l’ADEME publié en février 2022 indique que le consommateur, ainsi rassuré, consomme d’autant plus qu’il croit comprendre que ce choix est « bon pour la planète ».

Le 13 avril 2022 (soit très récemment), deux décrets ont été pris afin de préciser les conditions dans lesquelles les professionnels peuvent annoncer la neutralité carbone de leurs produits. Ainsi, à compter du 1er janvier 2023, un annonceur alléguant la neutralité carbone d’un bien ou d’un service devra par exemple produire un bilan des émissions de gaz à effet de serre dudit produit ou service couvrant l’ensemble de son cycle de vie, mis à jour tous les ans et réalisé conformément aux exigences de la norme NF EN ISO 14067 ou tout autre standard équivalent, publier sur son site de communication au public en ligne ou à défaut son application mobile un rapport de synthèse décrivant l’empreinte carbone du produit ou service dont il est fait, la publicité et la démarche grâce à laquelle ces émissions de gaz à effet de serre sont prioritairement évitées puis réduites et compensées.

Le greenwashing commence donc à être encadré par la règlementation française (et européenne) et se judiciarise peu à peu: c’est également une infraction sanctionnable. La loi dite « Climat » de 2021 a créé deux outils permettant de lutter en France contre le greenwashing publicitaire:

L’article L.121-2 (2e) du Code de la consommation prévoit que doit être qualifiée de pratique commerciale trompeuse toute pratique commerciale reposant sur des allégations de nature à induire en erreur portant sur les caractéristiques essentielles d’un bien ou service et notamment son impact environnemental ainsi que sur les engagements de l’annonceur en matière environnementale.

Si cette pratique est mise en œuvre et produit des effets en France, elle constitue un délit. Aux sanctions existantes, la loi Climat ajoute que l’amende peut être comprise entre 300 000€ et un montant représentant 80% des dépenses engagées pour la réalisation de la pratique commerciale trompeuse relative à l’environnement, contre 50% pour les autres pratiques délictueuses.

Le Code de l’environnement prévoit également que le fait d’affirmer dans une publicité qu’un produit ou un service est neutre en carbone sans informations précises (bilan d’émission de GES, démarche préventive, modalités de compensation) est désormais interdit. L’amende administrative est comprise, pour une personne morale, entre 100 000€ et la totalité des dépenses consacrées à la communication trompeuse. *

 

D’autres mesures concrètes ont-elles été prises à l’échelle française pour développer le tourisme responsable ?

Certaines mesures, encore trop timides à mon goût, ont été adoptées récemment. Ces dernières ne sont toutefois pas forcément propres au secteur du tourisme et sont très éparses, ce qui entraîne un manque de lisibilité pour les professionnels du tourisme.

Il est donc difficile, pour les acteurs du tourisme (professionnels et voyageurs), de s’y retrouver parmi l’ensemble des textes pouvant se rapporter, de près ou de loin à la transition vers un tourisme plus responsable. Il est ainsi possible de citer quelques mesures intéressantes, mais aucun Code ne regroupe actuellement ces textes. Tout d’abord, la loi « Climat » du 24 août 2021 vise à entamer une transformation vers une « République écologique et solidaire » et comprend plusieurs volets destinés à modifier la façon de vivre en France, notamment de se déplacer, se loger et consommer. Cette loi a plusieurs apports :

L’article 104 prévoit que l’Etat se fixe pour objectif d’accompagner les collectivités territoriales dans la création d’infrastructures cyclables sur leur territoire. Le développement d’infrastructures pour la mobilité douce aura nécessairement un impact sur le tourisme et sur l’offre touristique de séjours à vélos, déjà grandissante.
L’article 145 interdit les vols réguliers intérieurs en cas d’alternative en train d’une durée de moins de 02H30. Un décret en Conseil d’Etat est censé préciser les conditions d’application de cette mesure, notamment « les caractéristiques des liaisons ferroviaires concernées ». Il peut être dérogé à cette interdiction lorsque les services aériens assurent majoritairement le transport de passagers en correspondance ou peuvent être regardés comme assurant un transport aérien décarboné. La loi du 10 février 2020 relative à la lutte contre le gaspillage et à l’économie circulaire impacte également le secteur du tourisme, en interdisant: dès 2021, les pailles, couverts jetables, touillettes et boîtes en polystyrène expansé dans la restauration rapide ; en 2022, les emballages en plastiques pour les fruits et légumes de moins de 1,5 kg et en obligeant d’avoir les établissements recevant du public à disposer de fontaines à eau ; en 2023, la vaisselle jetable dans la restauration rapide pour les repas servis sur place. La loi prévoit également une meilleure collecte des déchets plastiques grâce au déploiement de nouveaux dispositifs de collecte, par exemple.

 

Quelles seraient vos recommandations ?

Le développement du tourisme durable est un sujet complexe, global et clivant. Le droit (étant compris ici comme le législateur) a deux options : agir en anticipation ou en réaction. Malheureusement, la loi est souvent une réponse apportée en réaction à des évènements ou à des changements majeurs de la société, parfois trop tardivement. Pourtant, certains changements de société considérés comme essentiels aujourd’hui étaient loin de faire l’unanimité lorsque le législateur les a consacrés : abolition de la peine de mort, droit à l’interruption volontaire de grossesse… Le rôle du législateur dans la transition écologique de la France, y compris celle du secteur touristique qui nous intéresse aujourd’hui, est à mon sens central.

Les mesures ne me semblent pas assez ambitieuses à ce jour pour faire face à l’urgence. Naturellement, contraindre les acteurs (y compris les touristes) n’est pas chose aisée et n’est pas toujours vue d’un bon œil…

Pour continuer à avancer, il faudrait a minima consacrer une définition claire et non ambigüe de ce qu’est le tourisme responsable (ou durable) et des objectifs vers lesquels doivent tendre l’ensemble des acteurs du secteur touristique et, bien sûr, prévoir de les accompagner. Pour davantage de lisibilité, ces mesures devraient être regroupées autant que possible dans un même outil (le Code de l’environnement ? le Code du tourisme ?).

En effet, dans ce court article, nous avons déjà évoqué pas moins de 6 sources de droit: le Code du tourisme, le Code de l’environnement, le Code de la consommation, de la « soft law » (OMT), la loi « Climat », la loi relative à la lutte contre le gaspillage…

Bien qu’il me semble important que le législateur prenne la mesure de l’urgence, en tant qu’avocate en droit du tourisme, j’ai la chance de côtoyer quotidiennement des professionnels du secteur engagés et innovants, qui proposent de réinventer le voyage tout en le rendant plus responsable. L’impact de ces acteurs ne doit pas être minimisé: ils initient les transformations en cours et à venir. Il est donc essentiel de leur donner les outils et les moyens pour avancer dans le bon sens.