Morgann Lesne, Cambon Partners
Son parcours
J’ai commencé à travailler en salle de marché chez Exane mais la commercialisation de produits structurés de dettes ne faisait pas vibrer ma fibre entrepreneuriale. À partir de 1999, je découvre chez MGT le métier de conseil en levée de fonds et le M&A, en pleine euphorie de la bulle internet, une période exceptionnelle à vivre, d’une intensité et d’une énergie uniques. Lorsque la bulle explose, je quitte le M&A pour devenir entrepreneur, toujours dans le secteur des technologies. Pendant 6 ans, je redresse, créé, investis, ferme, vends. C’est en 2009 que je retrouve David Salabi que j’avais rencontré chez MGT et que j’ai rejoint comme associé chez Cambon Partners.
Pouvez-vous nous présenter Cambon Partners et vos activités ?
Cambon Partners est une banque d’affaires : nous sommes un cabinet de conseil en fusions, acquisitions et en levées de fonds. Nous accompagnons les dirigeants d’entreprises et les actionnaires dans leurs opérations capitalistiques afin de les doter de moyens financiers supplémentaires pour accélérer la croissance de leur actif. Nous accompagnons également ces mêmes actionnaires dans leur transmission patrimoniale. Le troisième type d’opérations sur lequel nous œuvrons est constitué des opérations de cession : nous conseillons les actionnaires majoritaires qui souhaitent céder leurs parts à d’autres types d’industriels.
Globalement, nous sommes dans le secteur de la technologie et, depuis 7 ans, dans l’univers du tourisme. Cambon Partners est composée de 45 personnes, nous faisons une quarantaine de deals dans l’année dont 8 à 12 dans le travel.
Qu’est-ce qui vous a poussé à vous diriger vers le secteur du travel ?
C’est un heureux accident ! Mes premières opérations ont été la vente de Traveldoo à Expedia ainsi qu’une opération pour le compte d’Easyvoyage. Cela m’a donné envie de mieux connaître cet écosystème, je me suis tout de suite inscrit à une conférence Phocuswright. J’ai découvert que c’était un monde extrêmement fragmenté, dans lequel il y avait beaucoup d’opérations capitalistiques, beaucoup de fonds d’investissements, que la croissance externe faisait partie intégrante du secteur et qu’il n’y avait pas de banquiers d’affaires spécialisé. À partir de ces constats, j’ai proposé à mes associés de me spécialiser dans le domaine. Depuis, j’ai une équipe de 10 personnes entre Paris, San-Francisco et Pékin, je suis un banquier d’affaires spécialisé dans le travel hospitality avec une dimension technologique au niveau international. Nous avons une capacité d’exécution qui ne se limite pas à la France. Le dernier deal conclu est la vente d’une société chinoise à un Espagnol.
Constatez-vous des différences de fonctionnement selon les marchés ?
Pas tellement, les pratiques des opérations capitalistiques sont assez héritées du monde anglo-saxon, plus spécifiquement américain. Des investissements tels que la pratique du venture capital est typiquement américain, donner de la liquidité à des fondateurs afin de leur permettre de reprendre du risque dans leur entreprise (cash out) est également typiquement américain. L’enrichissement de dirigeants n’est pas un tabou chez les Américains et il le devient de moins en moins chez les Européens.
Il y a néanmoins un écosystème très intéressant en Europe puisque nous sommes dans des pays de destinations touristiques. Nos économies bénéficient du tourisme au niveau international et il y a donc un grand foisonnement de start-up comparé à d’autres zones du monde.
Quels types de transactions effectuez-vous?
Je m’occupe des sociétés small et mid cap, c’est-à-dire des entreprises qui valent entre 20 et 300 millions d’euros. Sur cette typologie d’opérations, je fais des levées de fonds qui vont de 5 à 100 millions d’euros et des cessions d’entreprises.
Cela signifie-t-il que l’investissement appliqué aux start-up et petites entreprises est un autre métier ?
ML : Ce n’est pas un métier différent, des acteurs sont positionnés différemment sur la chaîne de valeur mais sur la partie démarrage des entreprises, c’est un métier à haut risque et pour bien le pratiquer, il faut être vraiment expert. De mon côté, j’interviens un tout petit peu plus tard dans la vie de l’entreprise.
Aujourd’hui, dans le business travel par exemple, on voit beaucoup d’acteurs qui deviennent des business angels, comment vous positionnez-vous par rapport à eux ?
Les business angels font partie de la chaîne de financement, c’est d’ailleurs formidable qu’ils se mobilisent pour aider les start-up à émerger, à la fois par leur argent et par leur bon conseil.
Vos activités ont-elles une influence sur le phénomène. de consolidation que l’on vit actuellement dans le travel ?
Je suis un des principaux acteurs de ce mouvement ! Je propose de plus en plus à mes clients des consolidations, je suis vraiment proactif dans ce domaine.
Est-ce que vous constatez ce phénomène dans tous les secteurs ou est-ce spécifique aux entreprises du travel ?
C’est particulièrement vrai dans les entreprises du voyage car il est difficile de créer une grande entreprise du voyage tant que l’on n’est pas global et les acteurs sont confrontés aux grands concurrents américains. Il y a cette conviction que les places de leaders mondiaux sont difficiles à prendre. C’est vrai, mais on peut être l’expert local de son métier. C’est le conseil que je donne : dominer son marché domestique. Cela n’empêche pas d’avoir des ambitions internationales même si c’est plus compliqué.
Pourquoi ?
Sur le marché européen, nous sommes sur un marché multiculturel avec des habitudes de consommation légèrement différentes, les Français ne vont pas aux mêmes endroits que les Espagnols, etc. Il y a des différences notoires mais pas fondamentales. On a aujourd’hui une nécessité pour l’entreprise de se projeter dans un environnement international et d’être capable d’aller ouvrir des marchés avec des équipes dédiées, ce qui, en général, consiste à perdre de l’argent le temps de comprendre comment fonctionne le pays. En amont, cela veut dire qu’il faut être supportés par des fonds d’investissement qui acceptent cela. En Europe, contrairement aux Américains, nous n’avons pas cette habitude-là. C’est en train de changer.
Chez Cambon, quels critères sont pris en compte pour décider d’investir et d’accompagner une entreprise ?
Je regarde d’abord la probabilité du deal, elle est liée à la qualité de l’entreprise, à sa trajectoire, à sa capacité managériale, etc. Je m’intéresse à la croissance de l’entreprise, je ne fais pas de sociétés en difficulté ni de restructurations. Comme je passe mon temps dans le domaine du travel, je mets de moins en moins de temps à analyser la situation d’une entreprise.
Quelle relation peut-on tisser avec un client lorsqu’une opération est terminée ?
Techniquement c’est terminé, mais notre souhait est que cela se poursuive. Après l’opération, nous passons quatre à huit mois auprès des dirigeants, au chevet de leur actif professionnel principal qui est leur entreprise. Nous touchons donc au patrimoine des gens, ce qui est un sujet très sensible et important. Nous créons des relations fortes et durables avec eux. Nous fondons un véritable partenariat et ils reviennent nous demander de réaliser leurs opérations.
Au-delà de la partie financière, vous avez donc un rôle d’accompagnement ?
Je passe un tiers de mon temps à faire du conseil. Ce qui m’intéresse le plus, c’est de déterminer le meilleur timing possible pour une opération. Mon art à moi consiste à conseiller le dirigeant d’une entreprise sur ce timing. Le bon timing est la conjonction de plusieurs choses : la trajectoire de l’entreprise, le momentum commercial, les perspectives de croissance et la maturité de l’équipe dirigeante.
Travaillez-vous avec d’autres partenaires dans ces opérations : du monde du voyage, de la finance ou des territoires ?
Pour réaliser mon opération, non. Je travaille avec mon équipe. Nous sommes globalement assez autonomes. Il nous arrive de nous appuyer sur différents métiers, des banques par exemple, lorsqu’un financement est nécessaire.
Que ce soit sur la partie financière ou sur la partie accompagnement, avez-vous constaté une évolution ?
J’ai fait 45 deals sur les sept dernières années, donc j’ai vu beaucoup de choses. Je vois un changement dans le sens où de plus en plus de sociétés technologiques sont éligibles à des opérations de grande envergure, à une pluralité d’opérations. Je vois donc une évolution de la maturité du secteur par une capacité des entreprises de la travel tech à être profitables, ce qui n’était pas le cas avant.
Les entreprises qui sortent du lot s’installent dans des chemins de croissance très pérennes et deviennent de facto des cibles pour les opérations de consolidation.
Il y a beaucoup d’entreprises françaises qui peuvent être éligibles à une opération de rachat.
Y a-t-il une prise de risque de la part de Cambon lorsque les opérations sont menées ? Comment vous positionnez-vous par rapport à cela ?
Nous avons une position de conseil, nous n’investissons pas d’argent, uniquement du temps. En revanche, comme le temps est mon seul actif, le risque que je prends est que quand j’investis mon temps dans un sujet, je ne l’investis pas dans un autre. Je prends donc un vrai risque puisqu’à chaque fois que je prends un dossier, je prends le risque que le dossier n’aille pas au bout. C’est très rare mais cela peut arriver. Je prends aussi le risque que l’entreprise, à un moment donné, change de trajectoire, qu’on ait moins de performances. À cela s’ajoute des risques spécifiques à l’environnement du travel tels que la météo, le contexte géopolitique, etc.