Étienne Faugier est maître de conférences en Histoire au département tourisme de l’Université Lumière Lyon 2. Il travaille depuis plusieurs années sur l’histoire des transports et des mobilités. Il aborde l’histoire du tourisme à travers le déploiement de la motorisation et des mobilités. Retour sur la thématique des nouveaux espaces-temps du tourisme à travers une lecture de la mobilité.
Comment l’étude des mobilités nous permet d’en apprendre davantage sur les crises que nous rencontrons à l’échelle du tourisme ?
Les crises (politiques, économiques, sociales) ont beaucoup bouleversé le monde contemporain depuis le XXe siècle. La rupture qu’a apportée la Covid est importante, car elle a mis en arrêt toute la planète en même temps – une première dans l’histoire de l’Humanité. Cette pause a permis à une part de la population de repenser les mobilités. Cependant, nous pouvons apporter un bémol à ces nouvelles idées et à leur réalisation. Les chiffres de l’OMT qui annoncent le renouveau du tourisme sont en contradiction avec ce qu’on annonçait du post tourisme, à savoir le ralentissement des mobilités touristiques.
D’un point de vue historique, changer les pratiques et les mentalités nécessite beaucoup plus de temps que le temps accordé lors des confinements. L’Histoire montre que la pratique de l’automobile a pris une cinquantaine d’années pour se développer et ce n’est pas en quelques années qu’on va changer notre vision et nos usages des véhicules à moteur. Nous pouvons considérer la crise de la Covid, la guerre en Ukraine ou les enjeux énergétiques comme des sortes de bégaiement qui peuvent nous apprendre à mieux gérer nos déplacements; si on les considère comme des habitus à adopter et non comme des moments entre parenthèses.
Les innovations liées aux mobilités ont permis de réduire les distances et donc la vitesse à laquelle nous accédons sur les destinations. Aujourd’hui, la mobilité fait-elle toujours partie du temps du voyage ?
Depuis les années 2000, la pratique du slow tourism positionne effectivement le déplacement dans le cadre du voyage. En dehors de cette niche, le voyage commence une fois arrivé sur la destination. Le temps du déplacement est un temps que l’on essaye généralement de réduire en évitant les problèmes, comme les retards des transports en commun, l’attente dans les aéroports ou les embouteillages en voiture individuelle. Sans pouvoir le quantifier réellement aujourd’hui, pour une majorité des voyageurs, la covid ne semble pas avoir changé cette pratique.
Vous avez beaucoup travaillé sur la destination Québec, avez-vous identifié des différences dans la manière dont on a développé la mobilité touristique entre le Québec et la France ?
La différence fondamentale repose sur la notion d’échelle. Au Québec, on est sur des grandes distances et des grands territoires. De ce fait, les déplacements qui auraient pu fonctionner en Amérique du Nord, comme le développement de lignes à grande vitesse, auraient pu mailler suffisamment le territoire. Ils n’ont pas réussi pour différentes raisons, notamment économiques. Ainsi, les personnes cherchent à se déplacer en voiture, et parfois en avion, aussi parce que le train n’est pas si accessible.
Comment le développement d’une mobilité s’attache aux espaces ?
La manière dont on se déplace sur les destinations fait appel à un état d’esprit qu’on appelle aussi “paysages mentaux”. Les voyageurs en Amérique du Nord ont une mentalité qui n’associe pas la distance à un frein. En France, nous avons un plus petit pays mieux maillé avec d’autres solutions comme le train ou l’avion; voire le vélo avec les cyclo-routes. Quand ces voyageurs viennent en France, ils n’ont pas de problème à faire toute la France en voiture et sur une ou deux semaines. Le voyageur français sera beaucoup plus frileux à l’idée d’en faire autant.
L’arrivée des technologies va-t-elle substituer le voyage réel au voyage numérique ?
On a vu pendant le confinement que le numérique était une solution pour annihiler les distances. C’était le cas avec le téléphone (portable) historiquement et ça s’est accentué avec la visio-conférence à distance de l’autre. Mais ce qu’on aperçoit aussi, c’est que malgré tout il y a un besoin de déplacement inhérent aux individus. En questionnant les étudiants depuis deux ans, on n’identifie pas d’engouement majeur autour des visites de musées en ligne bien que cela puisse être parfois gratuit. Le voyage persiste parce qu’il n’y a pas de tourisme sans déplacement physique. Aussi, voir une destination en temps réel, ça fait longtemps que ça existe avec des webcams en live. Pourtant les gens continuent de se déplacer pour partir en vacances. Je ne crois pas que le numérique remplacera le voyage. Plus que cela, le numérique, par sa disponibilité, devrait accroître les déplacements.
Enfin, il y a un problème que nous avons du mal à quantifier avec l’impact carbone de ces technologies. Il est facile à visualiser lorsque nous nous déplaçons sur certaines destinations. On voit une voiture polluer. Par contre, il devient invisible lorsque cet impact carbone ne se retrouve ni chez soi, ni sur la destination touristique.
Nous abordons une politique de mobilité tournée vers le ferroviaire. Où en est-on de cette libéralisation ?
Nous pouvons la trouver dangereuse parce qu’on part vers une sorte d’uberisation de la société et une forte concurrence guidée par l’ultra libéralisme. La limite, c’est de retrouver ce qui existait auparavant avec des compagnies ferroviaires qui se découpent le gâteau français. C’était le cas avant la création de la SNCF, en 1938, avec les compagnies du Nord, du Sud ou de l’Ouest, etc. Pour voyager, le voyageur devait choisir entre plusieurs compagnies. Peut-être partons-nous dans cette direction. Évidemment, le numérique pourra combler ces difficultés avec des agrégateurs mais ça risque de poser davantage de défis pour les voyageurs, notamment en cas de difficultés sur le trajet.
Les mobilités ont transformé le tourisme. Voyons-nous des mobilités qui viendraient de nouveau transformer ou réinventer le tourisme ?
J’ai quelques doutes face à ces nouveaux outils technologiques comme l’hyperloop, la voiture autonome ou le tourisme spatial. Surtout parce que les imaginaires ne sont pas encore tellement développés autour de ces transports. Le développement du cyclotourisme, même déployé dans toutes les régions françaises et européennes, ne devrait pas réinventer le tourisme pour des raisons de flux moins importants que pour les modes capacitaires. Cependant, les nouvelles mobilités semblent plutôt s’engager vers la contrainte par précaution et protection des environnements. Or jusqu’à présent, on était plutôt sur une accessibilité du tourisme, une démocratisation et une liberté issues du XVIIIème siècle ou des Trente Glorieuses.
On voit déjà apparaître certains éléments liés à cette restriction : les calanques de Cassis, qui sont bloquées partiellement avec des QR codes pour l’instant gratuits, les salles de cinémas qui imposent le choix des places, la visite des musées où l’on doit s’inscrire préalablement. Tout cette économie du tourisme repose sur une gestion des flux qui part vers la contrainte.