Tout commence par un appel entre Laureline, Anne et Mathieu. En plein confinement, ils avaient cette volonté commune d’imaginer des futurs souhaitables pour la montagne, là où l’avenir semblait anxiogène et incertain.
Un magazine papier pour concentrer les idées et rassembler un collectif de passionnés
Ayant chacun des activités professionnelles liées àla montagne, l’occasion s’est présentée de rassembler leurs connaissances et de sortir de leurs professions de journaliste ou de consultant. Rapidement est venue l’idée d’un collectif, puis d’un magazine qui soit juste et accessible sur le fond puis beau et créatif sur la forme. «C’était vraiment important pour nous d’avoir ces deux niveaux d’exigence ».
Très vite, le collectif Les Passeurs s’est formé. Le temps disponible lors du confinement a permis de bénéficier de circonstances favorables pour se rassembler. Le premier numéro est sorti après un
an de travail à l’aide de différents professionnels : un directeur artistique et un photographe pour la créativité ou des consultants et des scientifiques pour la crédibilité.
Le design fiction pour concevoir de nouveaux espace-temps
Le point commun autour de cet engouement ? La possibilité de libérer la réflexion et l’imagination, sans se brider. Alors que les stations de ski fermaient la saison suivante, le rassemblement permettait de se projeter dans des imaginaires positifs.
Et pour se projeter, le plus simple était de se projeter loin, afin de se détacher du quotidien. «Le design fiction était vraiment la pierre angulaire du projet. Explorer des futurs pour de faux, ça s’appelle de la fiction. C’est un moyen d’aller explorer des futurs alternatifs, y compris certains très anxiogènes. On ne cherche pas forcément à prévoir ce qui va arriver – même pas à prévoir ce qu’on voudrait voir arriver – mais on explore des idées pour aller mettre en débat tous les futurs, qu’ils soient désirables ou non.» (Laureline).
En se basant sur des données scientifiques et en rassemblant une vingtaine de professionnels à chaque atelier, le collectif a commencé par questionner tout ce qui constituait un territoire : l’eau, l’agriculture, la démographie ou encore le tourisme.
Des futurs souhaitables ancrés dans le réel
«On voulait que les futurs souhaitables soient ancrés dans des données réelles et concrètes. On voulait apporter des solutions et des idées nouvelles mais pas que ce soit sorti de nulle part ou qu’elles ne servent à rien. On voulait vraiment que cette réflexion soit une pierre apportée à l’édifice. Et, lorsque tu sors d’une séance d’échange autour du design fiction, qui que tu sois, tu as inventé des histoires et tu as envie de les faire advenir». (Mathieu).
Les scénarios ont émergé et les débats ont été ouverts pour questionner le futur des possibles. «Une fois que tu as imaginé un élément déclencheur, tu te projettes. Imaginons qu’il y ait une taxe carbone individuelle en 2030, qu’est-ce qui se passe dans nos vies ? Est-ce qu’on voyage différemment ? Comment vivrons-nous sur les lieux de villégiature ? ». Une fois que ce ou ces éléments sont identifiés, les scénarios qui vont autour peuvent être imaginés et mis en scène sous forme «d’objets de design» qui permettent aux publics de se projeter tout de suite dans le futur qu’on leur propose. «Montrer la pub d’une nouvelle AOP de fromage végétal au pays du Beaufort et du Reblochon, ça interpelle direct et ça permet d’ouvrir les échanges sur la soutenabilité de certaines pratiques d’élevage, la diversification, etc.». Le plus important est donc de mettre en débat ces scénarios. Ce sont ces débats qui, avec les professionnels, les habitants, et par effet miroir, apportent beaucoup à la compréhension des environnements.
La montagne comme laboratoire de la prospective
La montagne s’inscrit dans la genèse du projet.
Par la suite, le collectif s’est diversifié sur d’autres territoires pour continuer d’expérimenter la méthodologie. Pour autant, la montagne est assez représentative des autres territoires : c’est un endroit qui symbolise le réchauffement climatique et qui cristallise les grands enjeux du moment comme le partage de l’eau, la diversification des activités économiques ou la gestion des espaces naturels. «Quand on parle de la montagne, le tourisme fait partie des activités qui vont devoir se transformer. Ce territoire qui semble très restreint devient un mini monde. C’est un laboratoire de solutions car on peut maîtriser une partie des données ». Ainsi, si des solutions font leurs preuves en montagne, sans doute, fonctionner ont-elles ailleurs.
Des scénarios qui favorisent les imaginaires positifs
Au fil de l’eau, les scénarios se retrouvent souvent associés à des imaginaires positifs. C’était le cas pour Métabief, une station du Jura qui a annoncé sa sortie du Ski Alpin à l’horizon 2035. En effet, les scénarios prospectifs montrent que cette activité ne sera plus viable économiquement.
«L’objectif n’est pas d’envisager le futur sous forme de renoncement ou de perte, mais de concevoir ce qui peut émerger après ça. Les cartes du jeu sont assez sombres, y compris au global dans la société. Ce qui est super fort dans ce design fiction c’est que même avec un jeu plutôt sombre, il est possible d’en faire sortir du positif. On peut pleurer la mort du ski, mais on peut aussi voir des opportunités de croissance et de création de valeur qui sont là et qui seront toujours là. On peut faire un pas de côté et mettre son énergie dedans ». La force du collectif repose dans sa capacité à porter un regard nouveau pour se pro-
jeter positivement.
Pour le collectif, quel que soit le scénario, le tourisme s’anticipe et se poursuit
Les imaginaires du tourisme d’aujourd’hui influencent le tourisme de demain. C’est un travail partagé où chacun a son rôle à jouer, à commencer par les comportements sur les réseaux sociaux qui influencent la pratique individuelle du voyage et de la mobilité. Ainsi, du côté de l’association «Protect For Winters », on met en avant des athlètes qui font des efforts importants pour décarboner leurs trajets, montrer que l’on peut skier autrement, pour inspirer et créer de nouvelles pratiques de voyage. Autres acteurs engagés, comme les agences en ligne ou les médias qui partagent une nouvelle vision du voyage: en prenant l’exemple de Chilowe, Les Others ou 2 Jours pour Vivre, les Passeurs rappellent que l’aventure et l’expérience prennent une nouvelle forme, plus locale, plus accessible, mais toujours plus adaptée aux nouveaux enjeux
du tourisme. Pour découvrir l’ensemble des débats, réflexions, pistes et scénarios, rendez-vous en ligne sur le site du Collectif Les Passeurs, «pour imaginer la montagne de demain».