Accor, groupe hôtelier en mutation : Constance Maillard de la Morandais & Paul Thiroloix

Constance Maillard de la Morandais, Corporate Ventures, Service Disruption & Growth

Paul Thiroloix, Corporate Ventures,  Service Disruption & Growth

Pouvez-vous nous présenter vos parcours et votre équipe  ?

PT   : Nous avons tous des backgrounds assez différents.

Avant, Constance travaillait dans l’immobilier hôtelier, la transaction et le conseil. De mon côté, j’ai fait un MBA. Nous avons dans l’équipe surtout des profils école de commerce et ’ingénieur. C’est très varié et c’est ce qui fait la richesse de l’équipe.

CMM : La création de l’équipe s’est faite à une période où l’industrie hôtelière se faisait challenger par de nouveaux acteurs, de nouveaux usages, de nouvelles méthodes de consommation, de nouveaux business models.  Accor a décidé de créer cette équipe pour aller sur de nouveaux territoires.  Au lieu de se battre contre ces nouveaux acteurs, l’idée était de s’allier avec certains d’entre eux. 

PT : Notre équipe a en effet été créée fin 2016 de façon un peu officieuse au départ. Les premiers investissements ont même été faits sans équipe officielle. Notre activité est double. Le premier volet de notre service a pour vocation de diversifier le groupe. Chez Accor, il y a le core business, la partie d’opérateurs hôteliers qui a beaucoup évolué car, sur les trois dernières années, nous sommes passés de 15 à 38 marques et parallèlement à cela, nous avons vendu certains de nos murs. Le groupe avait pour vocation de se diversifier en dehors de ce core business d’opérateurs hôteliers et d’élargir son scope de voyages. Le mandat que nous avions à ce moment-là, était d’aller identifier les nouveaux territoires dans lesquels nous voulions rentrer. Au lieu de le mettre en oeuvre en mode projet en interne, nous avons décidé de nous associer à des fondateurs qui avaient déjà créé des entreprises. Cela signifiait donc des acquisitions ou des investissements majoritaires sur lesquels nous sommes progressivement montés à 100%. On retrouve alors les deals qu’on a fait avec des acteurs comme Onefinestay, Gekko, VeryChic…. Nous avons fait une dizaine d’investissements majoritaires en s’associant avec ce type de start-up.

Le deuxième volet est plus lié à du corporate venture : nous faisons aussi des investissements minoritaires dans des start-up qui travaillent avec le groupe. Nous rentrons entre 5% et 20% du capital de l’entreprise. Ce sont des start-up qui ont déjà des contrats avec Accor et pour lesquelles nous pensons qu’investir peut apporter plus qu’un simple partenariat commercial. En parallèle de cela, nous profitons de l’entrée au capital pour réaliser une plus-value sur l’extension d’une entreprise que nous avons nous-mêmes propulsé : on retrouve des investissements comme Destygo aujourd’hui Mindsay, Onepark. Tout cela est géré par une équipe d’une quinzaine de personnes. 

Nous nous dispatchons les entreprises de notre portefeuille selon des verticales : je vais être beaucoup sur le BtoB et le business travel et Constance plutôt sur l’hospitality tech. Ensuite, nous avons une dizaine de personnes de l’équipe qui sont des operating partners, des experts de certaines verticales, un peu une réplique des fonctions centrales dans le siège  : finance, légal, communication, ressources humaines, tech. 

CMM : Cette équipe a pour mission de supporter la croissance des acquisitions dans lesquelles nous sommes majoritaires et d’effectuer une activité de reporting du groupe. 

Cela vous positionne-t-il autrement par rapport aux autres groupes hôteliers ?

CMM : Accor est le premier groupe hôtelier à avoir développé cette activité, nous sommes donc précurseurs et pionniers dans cette stratégie. C’est différenciant car grâce à ces nouveaux business, cela enrichit la proposition de valeur, l’offre que nous allons faire à nos propriétaires et à nos clients finaux et cela permet à Accor de pouvoir suivre ce qui se passe sur le marché. 

PT : C’est un moyen d’être en phase avec la réalité du marché d’aujourd’hui et de participer à notre évolution, à notre changement de modèle. 

Lorsque vous n’êtes pas majoritaires, qui avez-vous en face pour compléter le capital ? 

CMM : Cela peut être les fondateurs encore au capital de leur société.On peut faire des investissements avec d’autres industriels ou bien avec des fonds classiques. 

PT : En effet, nous travaillons souvent en “collaboration” avec des fonds et industriels. Nous sommes par exemple co-investisseurs dans deux entreprises dans Aéroports de Paris, dans Mindsay et Onepark. Sur Mindsay, nous sommes co-investisseurs avec deux fonds d’investissements. En parallèle, nous avons investi dans trois fonds d’investissements qui nous apportent pas mal de dealflow et sur lesquels soit on a co-investi, soit on va co-investir. On est donc investisseurs sur trois fonds d’investissements. 

Comment gérez-vous le sourcing et le choix des entreprises dans lesquelles vous investissez ?

CMM : Il y a un côté proactif. Nous allons identifier en amont des verticales dans lesquelles nous pensons qu’Accor doit se positionner. Là, on va explorer un marché, identifier ce qui va être bénéfique pour Accor : est-ce-que c’est faire une acquisition, un partenariat ?

Nous allons ensuite chercher le meilleur acteur avec lequel nous pensons que cela a le plus de sens de travailler, en fonction de l’équipe, du business model, de la vision…

Nous avons en parallèle toute une partie sourcing (appelée inbound) grâce aux fonds dans lesquels nous investissons, via notre réseau dans les autres fonds d’investissements ou via des opportunités qui nous viennent d’Accor.

PT : On rencontre entre 30 et 40 entreprises par mois.

Travaillez-vous avec d’autres services internes pour cette activité ?

CMM : Nous ne travaillons pas avec une équipe en particulier. Lors d’un investissement minoritaire, nous recherchons un ambassadeur au sein de groupe. 

PT : Nous connaissons très bien l’organigramme du groupe et nous savons comment intégrer le business des entreprises dans lesquelles nous investissons avec les autres services du groupe. Nous passons beaucoup de temps avec les équipes pour notre job de tous les jours. 

Sur la partie communication en interne, vous devez parfois paraître comme des gens un peu à part en termes de service, comment vous positionnez-vous ?

CMM : Il y a eu un énorme travail de réalisé depuis l’année dernière. Cela  a commencé par de l’éducation : nous communiquions sur ce que nous faisions mais de manière très ponctuelle, à des équipes en particulier et sans travail d’ensemble. Nous arrivons maintenant à avoir des canaux de communication très clairs grâce à de nouvelles personnes comme Donna Helliwell qui gère la communication. Il y a beaucoup de belles choses à raconter ! 

Il y a aussi la problématique de la communication plus financière. Nous ne parlons pas avec Accor des mêmes indicateurs de performance : nous ne regardons pas un profit & loss de la même manière. Il y a donc toute une communication à faire sur les indicateurs à prendre en compte qui sont propres à notre business. 

PT : Au delà du financier, nous avons beaucoup de profils technologiques dans ces entreprises-là, chose que nous n’avons pas chez Accor et avec qui il faut travailler. L’une des idées à faire passer est que tous ces nouveaux business nous permettent de parler plus souvent à nos clients, de différentes manières, avec différents outils, dans plusieurs endroits où nous pouvons, par exemple, les attraper dans nos programmes de fidélité. Ce sont des aspects que nous essayons de valoriser vis-à-vis du groupe et c’est vrai que le travail de communication qui a été fait autour de ça est très important. Il y a d’autres choses que le revenu qui ont de la valeur…Tout un nouveau réseau est en train de se créer grâce à ces nouvelles structures. 

Avec quels types de partenaires travaillez-vous ?   

PT : Nous sommes en contact avec un certain nombre de fonds internationaux. Au-delà des fonds dont nous sommes actionnaires, il y a tous les fonds de private equity français, européens et internationaux ainsi que tous les leveurs de fonds et les banques d’affaires (Clipperton, Cambon, Rothschild). 

Constatez-vous des différences entre les investissements réalisés au niveau français ou au niveau international ?

CMM : Nous avons beaucoup investi dans des entreprises françaises notamment pour des questions de gouvernance, c’est plus simple de suivre une entreprise qui n’est géographiquement pas très loin. À l’étranger, nous nous reposons sur des relais dans les régions chez les équipes Accor. Le scope qu’on traite est lié au scope d’Accor, leader en Europe et Asie Pacifique, donc on regarde peu les dossiers aux USA. 

Après l’acquisition, que vous soyez ou non majoritaires, comment cela se passe-t-il en termes d’accompagnement et d’intégration au sein du groupe ?

CMM : C’est très différent selon les entreprises et selon la place que nous y prenons. Nous laissons l’entreprise se développer un peu et nous sommes vraiment là en support. Nous organisons une gouvernance avec des boards mensuels et nous avons des comités de synergie tous les quatre mois. Ensuite, en fonction de la maturité de la société, nous allons mettre en place des comités stratégiques.

PT : Tous les mois nous avons des reportings financiers en plus des reportings opérationnels et notre relais finance dans l’équipe est là pour remonter ces informations de la part de toutes les participations et les consolider. Tout ceci est vraiment spécifique aux investissements majoritaires. Pour les minoritaires, nous nous voyons tous les trimestres, sur des boards avec les autres investisseurs. Nous sommes donc opérationnellement beaucoup moins impliqués dans les entreprises. Nous les aidons à rencontrer les gens chez Accor, à avoir les bonnes discussions. Parce que nous sommes minoritaires, nous ne consolidons pas leur résultat, l’enjeu n’est pas le même pour nous. C’est donc moins intense mais le soutien est présent quand même.

Sur les investissements majoritaires, la notion de service est plus intense. Est-ce que cela part uniquement de votre service ou est-ce que vous mettez d’autres ressources à disposition de ces entreprises pour les aider ?

PT : S’ils ont des questions, nous sommes toujours ravis de les mettre en contact avec les personnes dans le groupe et nous avons des personnes dans l’équipe dont une partie du rôle est d’organiser ces rencontres. Nous pourrions organiser un meet-up dont le sujet serait “Comment monétiser les bases de données ?”, cela pourrait être également le cas sur le revenue management, le management d’équipe et sur plein d’autres sujets…

Travaillez-vous à la mise en place des bons usages et des bonnes technologies pour le client ?

CMM : Nous gagnons en connaissance et en intelligence sur le client pour mieux le servir. Les insights font aussi partie de la technologie et permettent d’améliorer le service client. L’idée du rebranding d’AccorHôtels en seulement Accor signifie aussi qu’Accor n’est pas seulement un vendeur de chambres ou de nuitées mais se positionne aussi comme un fournisseur de nouveaux moyens de distribution ou de lieux pour travailler.

Le nerf de la guerre est de savoir servir son client au départ du contrat et de garder sa relation avec lui pour le pérenniser. La technologie est un moyen. Il y a des acteurs dans le domaine qui arrivent à répondre à ces besoins. C’est là-dessus qu’Accor est challengé. Nous allons aider Accor à rester adapté au niveau des attentes des clients. 

PT : La technologie est plus un moyen d’être performant face aux autres plutôt qu’une finalité en soi.

Le point de vue d’Edouard Roux de Lusignan, Senior Vice President Distribution, Sales, Digital, RM, CRM, Business Intelligence – France and Southern Europe

Comment travaillez-vous avec l’équipe Disruption and Growth ?

Je collabore avec elle sur plusieurs sujets et pour plusieurs raisons : on va aider à accélérer les business accelerators, ces nouvelles entreprises qu’on a intégrées au sein du groupe avec une participation qui se décline autour de plusieurs grands axes avec comme point commun notre projet d’hospitalité augmentée. Les  trois familles de travail sont les suivantes :

1- “Boostez votre distribution”  : cette première famille concerne les leviers supplémentaires destinés à aider nos partenaires à se distribuer, que ce soit dans la chambre classique ou les services annexes. Je pense à des acteurs tels que OnePark, Gekko, Verychic qui vont aider à booster la distribution de nos partenaires.

2- ”Optimisez les mètres carrés” qui vise à mieux exploiter ses mètres carrés avec des solutions comme OnePark, AccorLocal.

3- “Enrichissez votre expérience clients” avec des entreprises telles que John Paul.

On est en contact avec l’équipe Disruption & Growth pour regarder les dossiers en amont soit car on va apporter une expertise métiers à l’équipe afin de leur dire ce qu’on pense de telle ou telle société et donner notre regard d’expert de la distribution, soit car c’est nous qui allons leur apporter des dossiers : on peut leur souligner des enjeux business car on sent qu’il nous faut plus de services. On va être force de proposition pour telle prestation qui est à offrir pour nos partenaires hôteliers et on va trouver les entreprises pertinentes dans lesquelles investir. 

On est aussi en contact avec les équipes internes car nous avons une section dédiée à l’accompagnement des business accelerators et nous avons des business reviews régulières  pour les aider, afin qu’il prennent correctement en compte les besoins de nos partenaires hôteliers. 

Tout l’intérêt de notre organisation est de voir le plus large possible afin de répondre aux besoins clients. On a un phénomène de digitalisation dans la distribution, nos clients sont de plus en plus connectés, ils ont besoin d’humain et de personnalisation. On rencontre tous ces acteurs à des niveaux de développement différents, on va travailler sur des POC, voir comment avance l’entreprise en termes de produits et d’équipes.