Investissement d’un groupe touristique : Arnaud Abitbol, Marietton Développement

Arnaud Abitbol, vice-président exécutif, Marietton

Pouvez-vous nous présenter votre parcours et le groupe Marietton ?

Je suis le dernier des trois frères et j’ai rejoint le groupe très tardivement, au moment du rachat d’Havas Voyages. J’ai travaillé 13 ans dans la finance de marché pour Newedge qui était une filiale de la Société Générale. J’ai un DESS finance et j’ai travaillé pendant un peu moins de 15 ans sur les marchés financiers. Ma matière était les produits dérivés : les produits dérivés de taux, les taux d’intérêt, des produits un peu techniques et structurés. En 2013, j’ai changé complètement de voie pour racheter un site de ventes privées : Vente Aglaé. Je l’ai revendu 2 ans plus tard, avant que nous rachetions Havas Voyages. J’ai commencé par m’occuper des franchises Havas Voyages et je m’en occupe toujours. Rapidement, j’ai pris plus de responsabilités au sein du groupe. Avec le rachat par Certares, nous avons décidé, que je m’occuperais de la stratégie sur la croissance externe. 

Marietton est un groupe familial créé par mon père et mon oncle en 1968. C’était à la base une agence de voyages qui s’est développé en tour-opérateur. Avec le rachat d’une vingtaine d’entreprises successives, le groupe Marietton est aujourd’hui composé d’un peu moins de 500 agences de voyages, des deux tour-opérateurs, d’une activité business travel et d’une activité loisirs. Nos tour-opérateurs sont Voyamar, Elia et Soléa. Nous avons une dizaine de plateaux business travel un peu partout en France et des agences dont le midmarket a besoin. Ce sont les entreprises qui nous intéressent actuellement. 

Y a-t-il une stratégie dans le choix de vos investissements de croissance externe ?

Même si la croissance a été importante ces dix dernières années, nous essayons de croître de manière “intelligente”, c’est-à-dire que nous équilibrons la production et la distribution. Même si nous restons un distributeur généraliste, l’idée est de continuer à grossir. Le marché français est très atomisé. Il existe 200 tour-opérateurs en France. Je pense que le mouvement de concentration qui commence aujourd’hui n’en est qu’à ses débuts. Dans le  business travel, il y a un intérêt croissant des start-up et de la travel tech. Il reste des gros mastodontes et derrière, il y a des gens comme nous qui sommes pour l’instant franco-français, avec une qualité de service et une valeur ajoutée différentes.

Quels sont les freins que vous pouvez rencontrer quand vous menez des opérations de croissance externe ?

Avec Certares, nous avons compris qu’il n’y avait pas beaucoup de limites ! Nous restons une grande entreprise avec un philosophie très familiale, dirigée par mon frère Laurent Abitbol. Si demain nous voyons un très gros dossier qui peut avoir des synergies, Certares nous accompagnera.

Quelles sont vos relations avec Certares ?

Certares est un fonds d’investissement spécialisé dans le travel. Ils ont aujourd’hui 49% du groupe Marietton. C’est un acteur incontournable aux États-Unis puisqu’ils sont propriétaires à 100% de Travel Leaders. C’est une coopérative qui a racheté petit à petit beaucoup de leurs adhérents et fait aujourd’hui un volume d’affaires de 27 milliards. Ils ont aussi des compagnies maritimes et des compagnies de croisière. Ils possèdent 50% d’American Express avec le fonds souverain du Qatar et sont entrés dans le capital de Marietton l’année dernière. Avec nous, ils mettent un pied en Europe. Ils nous avaient identifiés comme étant l’acteur en capacité de concentrer le mieux le marché dans une période donnée.

Y a-t-il des liens entre les structures dans lesquels ils investissent ?

Certares vient de créer Travel Leaders pour le business travel, une société ad hoc qui va regrouper les meilleures petites TMC spécialisées en midmarket dans tous les pays. Grâce à eux, nous allons pouvoir traiter les clients internationaux. C’est très important pour nous puisque c’était “la pièce” qui nous manquait. Par exemple, pour un client français international, nous traiterons la partie française et déléguerons à des partenaires les parties étrangères. Il y aura une structure plus globale qui gèrera la consolidation de tous les comptes pour le client. Ils ont compris que le midmarket et le marché des intermédiés est aussi un marché qu’il fallait aller chercher,  même s’il est plus compliqué.

Qui constitue le reste du fonds de Marietton ?

Mes deux frères et moi pour une partie, Bpifrance et Africinvest, fonds d’investissement tunisien très présent en Afrique qui nous suit depuis 2007. 

Quelles sont vos relations avec Bpifrance?

Bpifrance est au conseil d’administration. Ce sont des investisseurs minoritaires mais avec une expertise forte. Ils peuvent nous aider lorsque nous avons des problématiques d’investissements ou des questionnements. C’est une voix en plus. Plus il y a de gens pour nous éclairer, mieux c’est.

Vis-à-vis des collaborateurs des différentes marques, comment gérez-vous les différentes opérations financières ?

À chaque fois qu’il y a eu des sociétés rachetées, nous avons maintenu le management en place. Chaque entité garde finalement son indépendance et c’est aussi notre force, ne pas vouloir mettre des strates de hiérarchie. Nous créons des synergies en back office et en front office, nous gardons les structures comme elles sont avec leurs particularités et leur culture. Nous conservons nos marques, c’est important car quand nous répondons à des appels d’offres, nous y allons avec plusieurs marques, avec des propositions de valeurs différentes. Je pense que c’est une vraie plus-value pour nous. Cela peut parfois créer un peu de concurrence entre les entités mais c’est une concurrence saine. Quand Havas Voyages perd un compte au profit d’Ailleurs et inversement, tout va bien. Nous nous disons aussi que le marché est gros, il y a 89% des entreprises en France qui sont encore des intermédiés et ne passent pas par une agence de voyages. Il y a un gros travail pédagogique pour expliquer à ces gens qu’une agence de voyages ne sera pas un coût mais qu’au contraire, elle leur fera faire des économies. Il y a en revanche une chose que nous nous interdisons, c’est la chasse interentreprises.

Comment arrivez-vous à positionner correctement vos différentes marques afin d’éviter cette concurrence ?

Nous sommes parfois concurrents sur les appels d’offre mais au niveau de la holding ça ne nous gêne pas. Ailleurs Business est plus spécialisé et va savoir traiter de très gros comptes. Havas Voyages va plutôt être positionné sur les comptes jusqu’à environ 5 millions. Nous avons des offres différentes et une gestion différente en matière de technologie : avec Havas Voyages, nous utilisons un outil qui est Maya alors qu’Ailleurs utilise les SBT traditionnels. 

Est-ce que vous rencontrez de la concurrence sur le marché malgré la composition de votre groupe et vos différents secteurs d’activité ?

La concurrence est féroce avec toutes les TMC, avec des modèles qui sont en train d’évoluer très fortement. Il se passe beaucoup de choses en ce moment avec les GDS, les compagnies aériennes et nous sommes à la croisée des chemins avec l’entrée en vigueur de nouvelles normes telles que le direct connect. Les compagnies veulent proposer aujourd’hui tout leur content en direct sans passer par les GDS. En termes de productivité, nous ne pouvons pas non plus nous passer des GDS car nous avons besoin de comparer les compagnies. De gros investissements technologiques doivent être réalisés. À mon sens, il n’y aura de la place que pour les gens qui auront su faire les bons partenariats. Je ne vois pas comment de petites structures vont pouvoir continuer à vivre demain sur le business travel, sauf à proposer de l’hyper-mesure ou du service particulier. 

Comment réussir à se différencier dans ce contexte de consolidation ? 

Quand certaines TMC investissent massivement dans l’intelligence artificielle et dans des algorithmes ou ont une vision fraîche et neuve du business travel, ça fait bouger les lignes. L’intelligence artificielle et ses algorithmes est devenue une réalité. De nouveaux acteurs du tourisme sont arrivés et prennent des parts de marché aux agences de voyages mais sur le business travel ce n’est pas encore le cas. Nous nous préparons aux changements qui vont intervenir, il faut anticiper et être prêt pour pouvoir répondre à la demande des clients qui veulent de plus en plus d’innovations.

Avez-vous des projets de développement spécifique au sein du groupe Marietton ?

Il y a plein de dossiers en cours pour lesquels nous avons signé des clauses de confidentialité. La seule chose que je peux vous dire c’est que nous avons des projets sur des agences, de la technologie et des tour-opérateurs. Nous ne sommes pas le seuls à regarder dans cette direction.

Nous ne sommes pas un fonds d’investissement donc nous ne faisons que des investissements stratégiques avec une synergie immédiate. Nous devons nous concentrer sur nos investissements stratégiques, c’est-à-dire que nous allons continuer à acheter des agences, des TO et des outils qui peuvent nous permettre de gagner en productivité pour gagner des parts de marché.