Alexandre Chemla, Altour-Travel Leaders Group, Fondateur et Président
François Calvino, Agis Voyages, Fondateur et Directeur
Pouvez-vous revenir sur vos parcours ?
AC : J’ai commencé ma carrière au Club Med pour qui j’ai travaillé pendant 10 ans à Paris puis à New-York. Très vite, j’ai décidé de démissionner et de lancer ma “propre affaire”. A la création de l’entreprise, aux Etats Unis, il commençait à y avoir beaucoup d’entrepreneurs indépendants qui se rémunéraient à la commission, la situation me gênait, je suis donc allé vers ce que je savais faire pour créer mon agence. J’ai commencé dans un petit bureau de 20 m² et créé l’agence Altour il y a maintenant 28 ans. Il s’agissait de tout petits bureaux au départ, j’ai toujours démarré doucement, il y a maintenant différents départements dans chaque succursale !
FC : Avant Agis, j’ai été commercial B2B dans le monde des systèmes d’information, passé 4 ans dans la marine et j’ai monté un site internet destiné à aider l’organisation de déménagements : « ledemenageur.com ». Je l’ai revendu au groupe seloger.com en 2001.
En ce qui concerne Destygo, (Mindsay) j’ai investi au 1er tour dans cette société qui automatise les chats dans l’industrie du travel. C’est une équipe brillante qui va très vite. Ils ont déjà convaincu de nombreux acteurs avec leur technologie que j’espère bien pouvoir intégrer un jour chez Agis Voyages-Altour. Ils viennent de lever un 2ème tour de financement ce qui leur permet d’envisager une ouverture internationale.
Nous avions investi avec quelques « amis » du secteur, voulant donner un coup de pouce à cette belle équipe et convaincu par la démarche et les applications dans le secteur du business travel que nous connaissons tous bien. J’ai également investi dans Winglet qui est à un stade plus précoce.
Quelle sont les histoires Altour-Travel Leaders Group et d’Agis Voyages ?
Suite à sa création, l’agence est devenue la 10e plus grande agence aux USA avec 1500 personnes dans nos différents bureaux comme ceux de Los Angeles et Londres et avec une forte spécialisation sur le business travel développé au fil des années. En 2009, nous avons racheté une compagnie basée à Minneapolis spécialisée dans le groupe et l’incentive et avons aussi développé le département de l’entertainment à Los Angeles. Nous accompagnons un grand nombre de compagnies de production de films en finançant tous les voyages nécessaires aux tournages par exemple. Le business travel reste la part la plus importante de notre activité.
Nous avons un département leisure travel, plus petit, qui représente un faible pourcentage de notre chiffre d’affaires. Nous l’avons mis en place suite à la demande de nos clients business travel : CEO, Codirs… et certaines stars de l’entertainment qui étaient servis par nous dans le business travel et l’entertainment et souhaitaient l’être également pour le leisure travel.
Le 31 août 2017, après de longues négociations avec le groupe Travel Leaders Group (TLG), nous avons signé un contrat et réalisé une sorte de fusion. Je suis donc associé dans le groupe global qui contrôle les autres entreprises. Je ne voulais pas vendre. J’ai gardé mon rôle de Directeur Général d’Altour et suis devenu associé du Board au sein de TLG. J’ai décidé de fusionner alors que tout fonctionnait bien. C’est dans ces moments que l’on est le plus fort pour négocier.
FC : Agis Voyages est une société que j’ai reprise en août 2001, une petite agence de quartier dans laquelle il y avait deux personnes. Je ne venais pas de cette industrie. Je l’ai découverte peu à peu et me suis vraiment dirigé vers le business travel à partir de 2005 avec l’apparition des premiers outils de réservation online. Nous avons à ce moment là mis en place Traveldoo. Ce qui a aussi vraiment déclenché notre réflexion vers le business travel est l’arrêt de commissions des compagnies aériennes vers les agences. Nous avons donc dû inventer un nouveau système de rémunération avec des fees. Nous avons donc mis en place une offre business travel. Nous nous sommes tranquillement développés sur nos fonds et sommes aujourd’hui une trentaine de personnes avec une activité à 90% business travel, le leisure travel est accessoire chez nous. Nous sommes une entreprise assez technologique avec beaucoup de réservations online et en croissance chaque année, nous fonctionnons bien ! Avec le rachat, Agis Voyages devient Altour.
Vous indiquez que vos entreprises fonctionnaient bien, pourquoi avoir voulu vendre ou procéder à une fusion?
FC : J’ai voulu vendre maintenant pour des raisons personnelles mais aussi pour assurer une transition à l’entreprise. J’avais déjà Altour en tête, j’avais envie de les aider à consolider leur implantation en France et de munir à eux dans cet objectif. En restant indépendant, j’ai des inquiétudes par rapport à NDC qui va changer notre technologie PNR, la remise en cause est importante et j’ai besoin d’un partenaire de taille.
AC : Si l’on prend l’exemple d’Altour, je n’avais pas non plus de raison de me rapprocher d’un groupe. Je me suis pourtant associé à TLG, structure globale qui a racheté et pilote les autres entreprises. C’est aujourd’hui un groupe qui est composé d’associés dont je fais partie. Le nombre de fusions qui se sont effectués ces dernières années est énorme. Notre seule façon de survivre est de continuer à avoir un pouvoir assez fort pour négocier. Les compagnies aériennes ont toujours cherché à ne pas payer les agences de voyages, l’arrivée du NDC est une vraie question pour nous. Cela me semble un danger car tout ce que nous ferons pourra être contrôlé par les compagnies aériennes. Les prestataires primaires reprennent le contrôle et les distributeurs ont du mal à suivre. Il y a un grand mouvement de consolidation en ce moment. La crainte du NDC fait que les choses bougent beaucoup plus vite. Nous devons donc nous réunir pour être plus fort, c’est ce qui se passe avec Agis Voyages.
Est-ce que cela signifie que c’est la technologie qui incite à se regrouper aujourd’hui ?
AC : Pour l’instant, nous forgeons des hypothèses. A l’époque où Internet est arrivé, on avait dit que les agences de voyages disparaîtraient mais finalement, les gens reviennent vers les agences. Les personnes qui souhaitent un service (le luxe, le corporate travel) ne vont pas sur Internet qui a une image encore trop “bon marché”. Pour l’instant, NDC nous fait peur et on ne sait pas ce qui va arriver ou pas, on ne sait pas quel sera le succès de cette entreprise.
FC : Il faut en effet grossir pour être en mesure de discuter avec les grosses compagnies aériennes, d’où les regroupements que l’on constate aujourd’hui.
Est-ce que dans ce rachat, il y a une volonté de pénétrer le marché français et d’être plus présent ?
AC : Oui, il y a une vraie volonté de pénétrer le marché français et, au delà de cela, d’être plus présent sur le marché européen qui est énorme. Si le Brexit arrive vraiment, il y aura le Royaume-Uni d’un côté et l’Europe de l’autre. Nous avons donc besoin d’une implantation en Europe. En France, Altour était une toute petite structure. Regrouper ses forces et ses efforts ne fera que développer et augmenter la solidité de la société Altour en France.
Comment vous vous positionnez face à des géants comme American Express GBT, KDS, etc ? Pensez-vous que la concurrence puisse exister et qu’il y aura de la place pour tout le monde ?
AC : Je crois que la concurrence existera toujours et qu’elle est nécessaire, saine même ! A mon avis, le développement se fait par rapport à cela. Plus il y a de la concurrence, plus cela nous amène à développer de nouvelles choses. Aujourd’hui, quand on regarde la concurrence énorme qui existe aux Etats-Unis, celle-ci est en plus agressive. Il vaut donc mieux être associé dans une grande société que de se retrouver seul et de ne pas pouvoir se développer.
Nous parlons d’investissement et de développements réalisés dans le voyage d’affaires, Altour poursuit-il la même stratégie dans l’événementiel par exemple ?
AC : L’événementiel est très difficile à gérer par Internet. C’est un métier à part et bien différent du business travel. Une de nos sociétés à Londres est d’ailleurs spécialisée uniquement sur le secteur.
FC : Dans le cadre du rachat, je pense que nous allons dupliquer ce modèle en France, nous avons déjà un client commun. C’est un modèle de production de cinéma, de chaîne tv, etc. Sans avoir un département dédié, c’est quelque chose que nous ferons. Nous bénéficions aussi de l’infrastructure et de l’aide technique et commerciale.
C’est un changement important notamment pour Agis Voyages. Comment gère-t-on la communication en interne, côté Agis Voyages et côté Altour ?
AC : De façon globale, la communication est extrêmement importante et nous avons réalisé de rapides investissements sur le sujet. Nos équipes se servent d’un intranet, nous avons également créé une communauté entre nos agents. Toutes les réponses et informations sont sauvegardées et ressortent en cas de besoin. Nous communiquons aussi par email, une à deux fois par an. J’envoie un email à l’ensemble des collaborateurs pour leurs dire où nous en sommes et ce que nous faisons. C’est une flat organisation car je refuse toute hiérarchie. N’importe quel employé peut venir dans mon bureau pour me parler, simplement. Cela fonctionne très bien et d’ailleurs, nous n’avons pas de turn over, les gens restent chez nous et nous continuons de grandir.
FC : Je pense que c’est un aspect très important aux Etats-Unis. Un employé peut changé plus fréquemment d’employeur au cours de sa carrière. Il y a plus de turn-over qu’en France. Ici c’est très différent. Cela signifie que les collaborateurs se sentent bien où ils sont ! Nous avons avec Altour un process d’implémentation qui va être mis en place prochainement avec les équipes Agis Voyages. Cela va se faire au niveau opérationnel, technique et, nous allons recevoir beaucoup d’aide de ce côté-là mais jusqu’à présent, je peux dire que les contacts ont toujours été très respectueux de la culture locale et de notre façon de travailler. On m’a demandé de rester et je suis très heureux de faire cette transition, à notre rythme, c’est précieux.