Les échanges professionnels comme enrichissement personnel

François Huet

Poste : (X)périentiel, Fondateur

Pouvez-vous nous présenter votre parcours et vos projets aujourd’hui ?

Avec une expérience internationale en gestion hôtelière, mon parcours m’a vu évoluer depuis mes humbles débuts en tant qu’apprenti commis de salle jusqu’à occuper le poste de Vice-Président Hôtel chez Banyan Tree Hotels & Resorts, où la promotion du tourisme durable est une passion. La diversité de ma carrière dans cette industrie m’a permis de fusionner des compétences en management et en leadership, donnant naissance à des entreprises résilientes où l’élément humain tient une place centrale. Après 25 années à l’étranger, je suis rentré en France, enrichissant mes compétences grâce à des formations en intelligence collective et en modèles économiques durables.

Aujourd’hui, mon rôle consiste à guider les entreprises vers une transformation positive en favorisant des méthodes de gestion participative, alignées sur les enjeux environnementaux et sociétaux de leur région respective. Mon objectif est de placer la dimension humaine et environnementale au cœur de chaque organisation.

Je co-anime le séminaire « (r)Évolution du Manager » en collaboration avec Sylvie Sempels de l’école LUMIÅ, tout en dirigeant le podcast « Xperientiel ». Ces deux initiatives sont résolument axées sur un management participatif et un tourisme à impacts positifs.

Pouvez-vous nous présenter la genèse du podcast ?

Le podcast a émergé en réponse à la prise de conscience croissante au sein de l’industrie touristique des défis associés à la crise sanitaire et au dérèglement climatique. Dans la quête d’une transformation vers un tourisme durable, il est devenu évident qu’élargir nos connaissances et notre capacité d’écoute, ainsi que comprendre d’autres perspectives, était essentiel. C’est ainsi que le podcast a vu le jour, en créant un espace pour des échanges avec des acteurs engagés (professionnels du tourisme, chercheurs, institutionnels, scientifiques, économistes etc. ) dans le développement d’un tourisme à impacts positifs.
L’objectif ultime du podcast est de cultiver un dialogue engagé et unificateur afin de réimaginer le sens, les responsabilités et les actions d’un tourisme qui contribue positivement à la santé de la planète et de l’humanité.

 

Quelle serait votre définition du tourisme positif ?

Le tourisme à impacts positifs se concentre avant tout sur la préservation de la qualité environnementale et sociétale d’un site ou d’une destination, en plaçant cette préoccupation au cœur de la stratégie organisationnelle, plutôt que de se focaliser exclusivement sur un résultat financier. En effet, il est crucial d’aborder les trois principales dimensions de la Responsabilité Sociale des Entreprises (RSE) avec une certaine hiérarchie. La priorité devrait être donnée à l’environnement, suivie du volet social, tandis que l’aspect économique devrait émerger des actions entreprises dans les deux premiers domaines. Cela ne sous-entend pas que l’aspect économique est négligé, mais plutôt qu’il émerge naturellement en tant que résultat de la vision globale de l’entreprise.

 

Au regard des nombreuses interviews que vous avez proposé, dans quelle direction positive le tourisme part-il ?

Les acteurs du secteur touristique progressent en matière de durabilité en prenant des mesures concernant les économies d’énergie, la gestion des déchets, l’usage du plastique à usage unique, ainsi qu’en développant des activités en harmonie avec la nature. C’est super car ça bouge. Cependant, ils peinent encore à redéfinir leur modèle économique, qui représente à mes yeux le véritable moteur de la transition vers un tourisme soutenable plutôt que durable. Cet exercice peut sembler complexe, mais il est essentiel, car il permet précisément d’analyser les conséquences de leurs activités sur l’environnement et la société. Nous demeurons encore excessivement focalisés sur la performance économique, en utilisant des indicateurs qui ne prennent pas en compte les aspects environnementaux et humains. J’ai pu partager avec Alexandre Monnin qui parle de l’analyse des attachements. Elle est essentielle pour comprendre ce qui a réellement de la valeur pour nous, afin de repenser nos métiers et nos activités. C’est une invitation à remettre en question la pérennité de notre organisation sociale et de nos infrastructures qui ne peuvent être maintenues indéfiniment.

 

Pouvons-nous parler d’intelligence collective à travers les échanges que tu organises ?

Les échanges que je facilite au sein de mes ateliers et lors de mes interviews sont avant tout une source d’apprentissage et d’enrichissement intellectuel. Ils m’offrent l’opportunité d’approfondir ma compréhension d’un sujet, de faire évoluer mon point de vue et d’adopter une vision plus globale. Le partage de connaissances et l’élargissement des niveaux de compréhension sont des éléments qui ne peuvent que contribuer positivement. Donc oui, on peut parler d’intelligence collective. Elle enrichie humainement. Elle peut être formelle ou informelle.

Un exemple frappant d’intelligence collective formelle en provenance de la France, que je considère comme particulièrement captivant, est la Convention citoyenne pour le climat. Les propositions formulées dans le cadre de cette convention, réunissant des individus issus d’horizons variés, porteurs de perspectives différentes et de parcours de vie diversifiés, illustrent à quel point l’intelligence collective peut être puissante. Cependant, il est regrettable de constater que malgré ces propositions, elles n’ont pas été suivies d’actions concrètes, ce qui peut laisser un goût d’inachevé.

Elle peut également être informelle, comme la diffusion des connaissances à un large public est un outil d’une puissance extraordinaire. Dans cette optique, le secteur du tourisme détient des vertus pédagogiques remarquables qui pourraient être davantage exploitées pour sensibiliser l’ensemble de ses parties prenantes à un tourisme durable.
Lorsque nous avons ouvert le premier laboratoire marin il y a 20 ans dans un hôtel cinq étoiles aux Maldives, je n’aurais jamais pu anticiper son impact sur mes collaborateurs. Ils ont lancé des projets de préservation sur leurs îles, protégeant ainsi leur environnement et leur culture. De même, je n’aurais jamais envisagé que, vingt ans plus tard, la plupart des complexes hôteliers aux Maldives posséderaient un laboratoire marin, voire au moins un biologiste marin.

L’intelligence collective nous convie à atténuer l’influence de notre ego et à placer notre confiance dans le collectif. Faire un pas de côté revient à embrasser de nouvelles approches, à accueillir des pensées divergentes. C’est au moyen de ces avancées, par l’apprentissage et la coopération, que nous sommes en mesure d’aborder les problématiques et d’engendrer des idées nouvelles. Naturellement, cela peut être déroutant, car cela peut remettre en question certaines de nos croyances. Néanmoins, il est crucial de garder à l’esprit les opportunités extraordinaires qui peuvent se dessiner.

À travers les divers ateliers d’intelligence collective que je coordonne, je suis constamment fasciné par les découvertes humaines et les solutions qui émergent de la créativité collective, même dans des domaines particulièrement sensibles. Allouer le temps requis pour dialoguer, saisir les nuances des opinions divergentes, réfléchir et agir de concert dans la construction d’un projet partagé se traduit par une source de motivation et d’un sentiment d’utilité profond.

On rappelle souvent qu’il faut replacer l’humain au centre des préoccupations ? Comment le percevez-vous dans vos échanges ?
On ne peut aborder la durabilité sans prendre en considération l’élément humain. Ce sont les collaborateurs qui insufflent, ou pas, les valeurs de l’organisation et qui sont à l’origine de sa réussite. J’aime beaucoup cette phrase qui résume bien le concept de la symétrie des attentions, « Plus je prends soin de mes employés, plus ils seront investis dans l’entreprise et attentifs envers les clients ». Mon expérience en tant que dirigeant et les diverses discussions que j’ai menées sur ce sujet ont clairement mis en évidence à quel point il est aisé de discerner la manière dont une entreprise incarne la relation humaine en interne.

A l’occasion de l’enregistrement du podcast Essaimer, Francois Therin nous a parlé d’altérité que j’ai trouvé tout à fait pertinente dans les relations au sein d’une organisation.
Effectivement, l’altérité transcende les frontières et joue un rôle essentiel dans divers contextes. Cela va au-delà de la simple reconnaissance de la différence, en englobant la capacité à véritablement comprendre et valoriser les perspectives, les valeurs et les expériences uniques de chaque individu ou groupe. L’altérité nous invite à nous mettre à la place de l’autre, à appréhender ses émotions, ses besoins et ses opinions, même lorsqu’ils diffèrent des nôtres.

Dans un environnement professionnel, l’altérité devient un concept crucial pour favoriser des relations interpersonnelles harmonieuses, la tolérance, le respect mutuel et la coopération. En encourageant l’empathie et la communication, elle nous aide à surmonter les préjugés, les stéréotypes et les discriminations. En somme, l’altérité joue un rôle central dans la création d’un environnement de travail épanouissant et collaboratif, où chaque individu est reconnu et respecté dans sa singularité.

De nos jours, l’entreprise doit avant tout incarner un espace de vie empreint de valeurs profondes. David Rivoire, lors de ce même podcast, a abordé la convivialité et l’accueil de nos collaborateurs dans les organisations, les invitant à contribuer à un projet porteur de sens. Cela requiert de réinstaurer une signification à l’entreprise en l’associant à une cause qui transcende son volet économique, une cause qui doit être portée par l’ensemble des salariés. Elle doit être appréhendée par toutes les parties prenantes, de manière à résonner tant intellectuellement qu’émotionnellement.

Pour lui donner vie au quotidien, il est impératif d’investir dans les cadres dirigeants afin de les transformer en facilitateurs au service de leurs équipes, en s’appuyant sur la force du collectif pour animer en permanence ce point de référence que nous appelons aujourd’hui la raison d’être.

Comment l’évolution de nos intelligences, tant technologiques qu’humaines, pouvez-vous aider à favoriser un tourisme plus inclusif et accessible à tous?

La technologie ne peut être négligée, à condition qu’elle serve l’humain et que l’humain à son tour, œuvre pour la préservation du vivant. Lors d’un échange avec Francois-Xavier Goemaerre, il me partageait que le problème ne résidait pas dans l’outil mais dans son usage.
Sur le plan environnemental, il est impératif de réduire notre empreinte carbone. Cela implique un changement de stratégie commerciale, avec une focalisation accrue sur une clientèle locale plutôt qu’internationale. Cela ne signifie pas l’abandon du tourisme international, mais plutôt la transformation de l’expérience à l’aide d’outils digitaux comme le Blockchain, Metavers, etc. qui offre un accès à des sites et des destinations à travers des expériences immersives moins aisément accessibles physiquement pour diverses raisons telles que le transport, la popularité d’un lieu ou des considérations financières.

Il nous incombe d’imaginer comment les activités touristiques peuvent évoluer de manière vertueuse, en devenant accessibles au plus grand nombre. C’est ici que les vertus pédagogiques du tourisme prennent tout leur sens. Face aux enjeux actuels, il est crucial de définir quel type de tourisme nous souhaitons, et comment l’évolution digitale peut nous permettre d’explorer de nouvelles formes de tourisme, tout en préservant l’essence du voyage, des rencontres, des échanges et des expériences qui nous ouvrent à d’autres mondes et cultures. Un vrai sujet.