Créateur d’expériences : Stéphane Vatinel, Sinny & Ooko

Stéphane Vatinel, Fondateur, Sinny & Okko

Pourriez-vous nous présenter votre parcours et Sinny & Okko ?

J’ai toujours aimé organiser des rencontres et je suis persuadé que les rencontres ont plus de sens quand elles sont faites autour d’événements artistiques ou culturels. J’ai fondé Sinny & Okko, créateur de lieu et événements. Notre objectif est de rassembler les cultures, les âges et de faire renaître des lieu grâce notamment à des événements. Après presque 10 000 événements organisés pendant une vingtaine d’années, j’ai créé sur commande un lieu qui m’a ouvert l’esprit. Nous voulions toucher 100% de la population sur tous les spectres d’âge, d’origine sociale et d’intérêt et aussi sortir de l’espace artistique et rentrer dans un sujet beaucoup plus largement culturel. C’est ainsi qu’est née la Recyclerie à la Porte de Clignancourt. Le Comptoir Général était une commande et la Recyclerie une transcription de quelque chose qui nous passionnait, c’est-à-dire les nouveaux comportements face à l’urgence sociale et climatique à laquelle nous sommes de plus en plus confrontés. Sept ans plus tard, la Recyclerie est quelque chose qui nous dépasse dans le bon sens du terme. Nous avons une demande énorme de la part de communes et de collectivités territoriales qui aimeraient elles aussi avoir leur propre Recyclerie. Tout ceci a été un énorme succès, ce qui nous amène aujourd’hui à créer la Cité Fertile et à avoir l’école des tiers-lieu. Depuis sept ans, il y a une appétence incroyable de la part de toutes les populations, qu’elles soient rurales, urbaines ou péri-urbaines, pour avoir une proposition qui soit un peu différente de ce que traditionnellement on pouvait leur proposer.

Qui a pensé et créé le concept de tiers-lieu ?

En 1987, c’est un américain qui pense la notion de third-place. Il définissait le tiers-lieu comme le troisième lieu de destination. Le premier c’est votre lieu d’habitation, le second votre lieu de travail et le troisième est un lieu de destination choisi dans lequel vous allez avoir une activité que vous pratiquez avec conviction. Nous ajoutons à cette définition plusieurs aspects : ce n’est ni un lieu d’habitation, ni un lieu de travail. Les gens viennent pour créer des espaces communs où ils vont pouvoir se rencontrer. Cela crée du lien social et c’est d’une importance capitale. La singularité du tiers-lieu est que c’est un espace qui a été délibérément choisi par ceux qui les pratiquent. 

Comment est née l’école des tiers-lieu ?

Quand nous avons monté la Recyclerie et la Cité fertile, beaucoup voulaient faire la même chose. C’est ce qui nous a amené à créer l’école des tiers-lieu où nous proposons une formation en 40 heures. Nous avons une session toutes les six semaines et c’est toujours complet ! 85 % de femmes font cette formation, 50 % viennent des régions et 50% d’Île-de-France. À terme, 50% des personnes ont envie d’exploiter un lieu et les autres sont des promoteurs et des collectivités territoriales.

Travaillez-vous avec des partenaires spécifiques ?

Nous sommes complètement indépendants, c’est ce qui fait notre force. Nous avons un modèle économique qui ne nécessite pas de subventions. Les personnes qui viennent assister aux conférences ou ateliers ne paient pas. Nous nous appuyons sur le café et la restauration. Nous faisons un gros travail pour que ces lieu soient séduisants de façon à ce que les gens viennent boire et manger voire aient envie de les louer. Ce modèle fonctionne aussi bien à Paris que dans toutes les régions de France. Donc dans le modèle économique, CHR et l’événementiel représente 20% de notre économie, la boisson représente 50% et la restauration 30%. Nous ne voulons abandonner aucun des trois. Le partenariat reflète l’intérêt que peut avoir un lieu. Si vous avez des entreprises qui ont envie et besoin d’être identifiées sur votre lieu, c’est un très bon diagnostic de santé. 

Quelle est la proportion d’entreprises qui font du MICE et de l’événementiel chez vous ? 

Cette clientèle représente 30% de nos entrées mais en termes de jours d’ouverture c’est beaucoup moins. Il y a collusion entre un espace privé et un espace avec une mission de service public. C’est ce qui nous distingue des bars/restaurants traditionnels. 

Avez-vous l’intention d’augmenter la clientèle entreprise ?

Nous ne voulons pas les augmenter, nous sommes également très attentifs à notre clientèle entreprise. Nous avons eu quelques mauvaises expériences. Nous vérifions maintenant qu’elles correspondent à nos critères de sélection pour pouvoir venir faire un événement chez nous. Je crois que nous ne sommes pas là pour donner des leçons mais nous sommes là pour tenter de sensibiliser à des notions qui sont applicables par tous. Nous éditons des chartes en ce sens et c’est très intéressant de voir les entreprises faire ce cheminement. 

Quels sont vos projets futurs et quelles innovations imaginez-vous pour votre secteur ?

Nous n’inventons rien, tout ce tissu associatif existe depuis 1901. Les contenus de programmations que nous proposons sont des vieilles recettes remises au goût du jour. Ce qui est innovant, c’est de l’avoir théorisé. Ce que j’aime beaucoup aussi c’est la notion d’économie mixte. Nous sommes dans une notion de service public mais elle n’est possible que si elle répond véritablement à un besoin et est sanctionnée par un modèle économique. Si nous n’arrivons pas à valider le modèle économique, c’est qu’a priori le contenu de programmation et des usages n’est pas fondamentalement le bon. Chaque territoire doit avoir un tiers-lieu qui lui est propre. La tendance montre que nous ne saurons pas nous priver d’un besoin d’achat car c’est presque un vecteur de bien-être psychologique sauf que nous n’allons plus acheter les mêmes choses. Nous allons acheter de l’usage et du partage de connaissances au sein d’une société enfermée dans cette consommation mais avec moins d’ostentation et dans toutes les zones rurales et périurbaines dans lesquelles nous avons accepté de nous ennuyer depuis 40 ans, il y avait une vraie capacité à enchanter le quotidien. Si le tiers-lieu marche aujourd’hui, c’est pour deux raisons : nous sommes arrivés à un tel pic de désociabilisation du fait de nos réseaux sociaux que nous crions au secours pour pouvoir rencontrer des gens physiquement. Nous savons maintenant où nous rencontrer ! Les bienfaits font que les tiers-lieu sont l’innovation d’aujourd’hui et surtout l’innovation de demain.