Une intelligence artificielle pour façonner un tourisme durable

Lucile Violet et Simon Devaradja

Poste : Founder & CEO, CTO Holiway

Pouvez-vous nous présenter vos parcours et la genèse d’Holiway ?

Lucie : Diplômée de l’ESCAET en 1999, j’ai travaillé plus de 20 ans dans de grands groupes comme Nouvelles Frontières, Thomas Cook, Promo Vacances ou Fram, principalement en gestion de projets et de crises, ainsi qu’en développement et gestion des réseaux de distribution. Il y a un an, j’ai commencé à réfléchir à l’évolution du tourisme vers une approche durable.

Simon : Je suis Data Scientist et expert en IA, diplômé de CENTRALE, avec 7 ans d’expérience dans différents domaines, notamment l’énergie, le tourisme, le luxe et la finance. J’ai eu l’occasion de travailler sur les enjeux de l’IA dans ces divers secteurs.

Lucie : Quand j’ai rencontré Simon, nous avons eu l’idée de créer une agence de voyages axée sur le tourisme durable, en utilisant le Big Data pour décrypter les labels de tourisme existants et proposer un moteur de recherche pour des voyages à faible empreinte carbone. Nous avons également développé un calculateur d’empreinte carbone.

Nous avons réalisé que les gens ne voulaient pas seulement voyager « bas carbone ». Le voyage représente aussi une expérience de liberté et de découverte. Donc, nous avons pivoté vers Holiway en proposant aux voyageurs de compenser leur empreinte carbone avant de partir en voyage. L’idée est de les sensibiliser au quotidien aux actions durables et de promouvoir un autre mode de voyage tout en maintenant une expérience positive.

L’écologie et le tourisme durable peuvent être perçus comme des contraintes qui limitent la liberté des voyageurs. Avec Holiway, nous voulons montrer que l’on peut vivre une expérience de voyage durable tout aussi exceptionnelle qu’un voyage très émetteur de carbone. Nous offrons maintenant un programme de récompenses pour améliorer son empreinte environnementale grâce à des défis et des achats auprès de marques françaises engagées.

L’idée est de ne pas offrir des récompenses sous forme de produits matériels pour éviter la surconsommation. Nous proposons plutôt des expériences de loisirs, comme la découverte de restaurants locaux, des ateliers avec des artisans, des activités originales, etc.

 

Vous mentionnez que les voyageurs ne veulent pas forcément voyager “bas carbone”. Pouvez-vous nous expliquer davantage ?

Lucie : D’une part, il est difficile de trouver des acteurs proposant des voyages bas carbone ou de mesurer l’impact carbone. De plus, beaucoup de gens estiment qu’ils font déjà suffisamment d’efforts au quotidien et ne veulent pas en faire davantage en vacances, qui représentent leur moment de liberté.

 

Pourquoi avez-vous choisi d’utiliser l’IA et comment cela contribue-t-il à vos objectifs de voyage bas carbone ?

Lucie : L’IA nous permet d’inciter les gens à modifier leur comportement quotidien en leur proposant des défis personnalisés et des produits adaptés à leur profil. Les défis et la sensibilisation à leur empreinte environnementale auront un impact sur leur perception des réservations de voyages. Les points gagnés ne pourront être utilisés que pour des voyages durables, ce qui motive les utilisateurs à rejoindre la plateforme.

 

Comment utilisez-vous concrètement l’IA chez Holiway ?

Simon : L’IA repose sur des algorithmes de recommandations pour personnaliser les défis. Elle prend en compte le profil des membres et l’historique de leurs défis. Nous cherchons à personnaliser le parcours de nos utilisateurs pour les inciter à adopter des comportements plus écologiques. Les défis doivent être incitatifs, pas punitifs, et intégrer des aspects cognitifs tels que les émotions, les perceptions et les biais.

L’objectif est que l’application puisse suivre la personne, aussi bien au quotidien qu’en voyage. On va donc comprendre son comportement tout au long de l’année (mobilité, achats, défis, voyages etc). On aura aussi des données sur sa réaction aux expériences proposées en termes de récompenses. L’idée in fine, c’est d’être capable d’orienter plus encore leurs achats, leur comportement au quotidien et leurs types d’expérience de voyage pour qu’elles soient les meilleures pour eux et les plus vertueuses pour l’impact économique, social et solidaire au global.
Au-delà des algorithmes, il s’agit vraiment de comprendre les comportements, les émotions, les perceptions et les biais, ce qui ajoute une dimension humaine.

Simon : Nous cherchons à intégrer les sciences humaines, notamment les sciences comportementales, dans notre approche. Les individus réagissent différemment en fonction de leur culture et de leur éducation, et c’est essentiel pour rendre des concepts plus accessibles.


Quels types de données alimentent vos algorithmes IA ?

Simon : Nous utilisons des données personnelles telles que le profil, l’âge, le sexe et la situation personnelle des utilisateurs. Les défis réalisés fournissent également des informations importantes. Ces données combinées alimentent notre moteur de recommandation pour des personnes ayant des profils similaires.

 

Pouvez-vous détailler la manière dont vous évaluez l’impact des activités ?

Lucie : Nous avons commencé en collectant des données existantes à l’aide de ChatGPT pour comprendre les différents types de défis et leur scoring. Pour évaluer l’impact des produits proposés, nous travaillons en partenariat avec des acteurs tels que l’ADEME et le Planet-score. Chaque nouveau produit entraîne une nouvelle évaluation, car le score dépend du produit lui-même et de son évolution dans sa conception durable.

 

Quelles sont les perspectives à court et à long terme pour Holiway ?

Lucie : À court terme, nous prévoyons de lancer l’application cet été avec un premier niveau d’algorithmes et des défis basés sur des profils basiques. Nous avons déjà cinquante marques partenaires. À l’avenir, nous continuerons d’ajouter des bilans carbone et d’améliorer l’application en fonction des retours des utilisateurs. À moyen terme, nous envisageons de devenir un acteur similaire à une « Green Amex Air France », avec une carte bancaire permettant de suivre son scoring environnemental au quotidien. L’objectif est de faciliter l’accès à un mode de consommation durable et responsable.

 

Y-a-t-il d’autres éléments que vous souhaitez partager ?

Simon : Sur le plan technologique, nous voyons deux tendances majeures dans l’IA pour le tourisme : la personnalisation des expériences client et la création d’outils pour rendre les voyageurs plus autonomes. Nous voulons équiper non seulement les voyageurs, mais aussi les citoyens pour les encourager à adopter des comportements durables.

Comment l’IA peut-elle affecter les emplois dans l’industrie du tourisme ?

Simon : Plutôt que de faire disparaître des emplois, l’IA pourrait entraîner une évolution des postes existants vers une utilisation plus avancée de la technologie. De plus, de nouveaux emplois liés à la gestion des données et de l’IA pourraient émerger. L’IA peut enrichir l’expérience globale sans nécessairement supprimer des emplois.

Lucie : L’agence de voyages pourrait se repositionner en utilisant l’IA pour gérer le sur-tourisme, découvrir de nouveaux lieux, et encourager des modes de voyage alternatifs. En résumé, notre vision à long terme est de faciliter l’accès à un mode de consommation durable et responsable, tant au quotidien qu’en voyage, en utilisant l’IA de manière intelligente pour orienter les comportements des utilisateurs. Nous souhaitons promouvoir des expériences de voyage uniques et durables tout en contribuant à une économie locale et circulaire.