Une gestion intelligente des données touristiques

Damien Catala

Poste : Ceo, Uska

Pouvez-vous nous présenter votre parcours et la genèse de Dahub devenue Uska aujourd’hui ?

J’ai une formation d’ingénieur en système d’information au départ plutôt appliqué au secteur de la santé. J’ai ensuite cofondé la société Dahub avec Benjamin Briot en 2007, qui change d’identité et devient aujourd’hui Uska. Uska est une application pour les acteurs du tourisme qui améliore la gestion de l’information touristique et que nous développons depuis 8 ans maintenant.
Uska s’adresse d’une part aux diffuseurs de l’information touristique pour lesquels elle facilite de façon intelligente la collecte des informations touristiques tels que les tarifs, horaires, accessibilité, etc. Uska s’adresse aussi aujourd’hui aux professionnels du tourisme qu’ils soient prestataires d’activité, hébergeurs ou restaurateurs, en leur proposant une plateforme de saisie unique de toutes leurs informations automatiquement transmises auprès de 50 plateformes afin de les faire gagner en visibilité, sans effort et sans compétence.

A quel moment avez-vous identifié qu’il y avait un besoin pour ses services de la part des opérateurs touristiques ?

Je suis né dans une vallée touristique de Haute-Savoie, dans laquelle je voyais beaucoup de prestataires touristiques passionnés qui offraient des expériences touristiques géniales mais qui n’avaient pas le temps, ou les compétences ou bien l’envie de s’assurer de leur visibilité sur internet. Je pense par exemple à Serge, accompagnateur en montagne depuis plus de 20 ans dans la vallée d’Abondance, qui emmène ses clients déguster de bonnes fondues dans son refuge, en leur partageant son savoir sur la faune et la flore. Ce qu‘il propose est une très belle expérience, mais il ne communique qu’au travers d’une affiche papier à l’Office du tourisme. En voyant cela, je me suis dit que demain Serge ne pourrait plus vivre de son activité parce qu’il n’est pas suffisamment visible sur internet par les voyageurs ou les prescripteurs.
Ce fut un premier déclic qui s’est vite confirmé : 80 % des personnes interrogées ont indiqué qu’elles n’avaient pas le temps de gérer leur notoriété en ligne parce qu’elles consacraient leur temps à leurs clients pour leur faire vivre avant tout une belle expérience ».
L’idée est partie de là : si on veut que ces pépites touristiques qui n’ont pas de compétences numériques perdurent et vivent de leur activité, il faut qu’elles aient les mêmes chances que les grands opérateurs sur internet. Et je suis alors parti dans ce projet entrepreneurial.

Quand vous parlez de gestion de données touristiques, pouvez-vous nous préciser de quel type de données s’agit-il ?

Il y a deux types de données touristiques : d’un côté, les données chaudes comme la disponibilité et le prix d’une chambre, d’une activité, d’un billet d’entrée. De l’autre côté, il y a les données tièdes et froides, qui sont des données descriptives d’une activité précisant au public à qui elle se destine, ou bien quels sont les équipements précis de la chambre par exemple.
Chez Uska, notre objectif, c’est de travailler à partir de ces données dites « tièdes et froides » car ce sont celles-ci, à condition qu’elles soient hautement qualitatives et largement diffusées sur des plateformes, qui vont créer la visibilité. Notre travail permet d’optimiser l’adéquation entre le service proposé et les attentes du client.
Ensuite, si cette adéquation a lieu et qu’elle débouche sur une réservation sur une plateforme ou directement sur le site de l’opérateur, ce sont les données dites chaudes qui permettront de finaliser la vente.

 

Quelle démarche est la plus difficile aujourd’hui : aller chercher ces données ou bien les exploiter ?

Le challenge aujourd’hui, c’est de pouvoir à la fois être bon d’un côté et de l’autre, et c’est un vrai savoir-faire. Pour « sourcer » de la donnée correctement d’un côté, il faut s’intéresser à ceux qui la produisent – qu’elle provienne d’une personne qui va renseigner de l’information sur son business, ou qu’elle provienne d’un visiteur qui va renseigner de l’information à partir de son expérience client sur un opérateur touristique – pour que quand on la capte, elle soit d’actualité et exploitable. Et ça, c’est un vrai métier.
Ensuite, il faut savoir l’exploiter correctement pour qu’elle permette de générer une vente, une visite, et donc du business pour l’opérateur. Et pour cela, il faut effectivement avoir une vraie stratégie pour mettre en forme cette donnée, de manière suffisamment atypique et pertinente pour créer de l’intérêt auprès d’un visiteur, d’un client qui va ensuite consommer.
Aujourd’hui, on a des entreprises plutôt technologiques qui excellent dans le sourcing et dans la capacité à amener du contenu qui se sont développées ces dernières années, et de l’autre côté des entreprises qui excellent dans la diffusion de ce contenu mais plus rarement dans les deux domaines.
L’enjeu est de réussir à trouver le bon compromis pour être capable de développer une approche globale de sourcing des données et de leur exploitation au service de l’attractivité des territoires.

 

En sept ans, avez-vous observé un changement de la part des acteurs du tourisme dans l’appropriation des concepts de big data, de données massives ?

Lorsque j’allais à la rencontre des Offices de Tourisme en 2017, ils voyaient que la gestion des données leur prenait beaucoup de temps, que ce n’était pas là qu’était leur valeur ajoutée, mais ça faisait partie de leur mission et ce n’était pas remis en question. Et je dirai même qu’il y avait une peur de voir l’outil numérique les éloigner des professionnels.
Cela a pris un certain temps mais aujourd’hui en 2023, ce sont les offices du Tourisme qui m’appellent car ils ont compris qu’ils doivent évoluer, transformer leurs pratiques, automatiser une partie de leur process, pour mieux se réinventer dans leurs missions et leur valeur ajoutée.
Pour les professionnels, je ne saurai pas encore le dire. Les opérateurs touristiques indépendants, comme par exemple un restaurant, ne sont pas encore dans cette appropriation et cela va demander du temps comme ce fut le cas avec les Offices du Tourisme. Les grands groupes, eux, l’ont clairement compris. Quand je rencontre des grands groupes comme Odalys qui ont de nombreux lieux à gérer, il est clair pour eux et depuis longtemps qu’ils ne peuvent plus se passer de technologie pour gagner en performance sur tous les sujets.

Quel accueil observez-vous de la part des opérateurs touristiques sur les possibilités qu’ouvre l’intelligence artificielle ?

Je remarque que depuis l’avènement de ChatGPT qui permet notamment de faire du rédactionnel de manière automatisée, l’intelligence artificielle est de mieux en mieux perçue par les acteurs institutionnels comme les opérateurs touristiques. Les professionnels du tourisme sont en train de comprendre comment l’IA peut venir en soutien de leurs activités et les aider.
Chez Uska, on développe actuellement d’ailleurs grâce à l’IA des modules d’aide à la rédaction de descriptifs commerciaux pour faciliter la tâche à nos clients et leur faire gagner du temps.
Pouvez-vous nous partager des retours d’expériences ou des exemples de partenaires pour qui la solution a très bien fonctionné ?
Tous nos clients ! J’ai des anecdotes et succès flagrants en stock. Le premier qui me vient à l’esprit, c’est celui de l’île de Ré. Ils ont pu, grâce à notre outil de commercialisation faire des campagnes ciblées, par exemple sur les hébergeurs locatifs qui étaient classés et pour lesquels ils voulaient savoir s’ils étaient accessibles à tous les publics. Ils sont passés d’un taux de réponse de 30 et 35 % en moyenne à 80% tout en économisant beaucoup d’énergie grâce à notre solution.
Le deuxième qui me vient à l’esprit, c’est Vichy, grande station thermale, qui souhaitait élargir et dynamiser son club de socioprofessionnels. Grâce à notre solution, ils ont obtenu +25% d’adhérents et de très bons retours de leurs adhérents qui les ont félicités pour le choix de notre solution, grâce à la facilité d’utilisation dans le partage de leurs données.

Il y a aujourd’hui un enjeu pour les institutionnels français à posséder leurs propres données touristiques. Pouvez-vous nous en parler davantage ?

Absolument. Si l’information touristique française n’est plus collectée par nos institutionnels du tourisme, la connaissance de l’information touristique sera entièrement et uniquement possédée par Google, et deviendra de la donnée américaine.
Promouvoir, soutenir et privilégier des solutions françaises ou européennes qui vont concentrer l’information touristique pour ensuite la distribuer sur Google, auprès des offices de tourisme et d’autres plateformes de distribution, c’est garantir une souveraineté nationale ou européenne de la donnée touristique.
Alors bien sûr, comme c’est incontournable aujourd’hui, Uska fait naturellement en sorte que ses clients soient visibles dans les résultats des recherches locales Google et sur Google en général. Mais Uska va plus loin et permet aussi à ses clients de mettre à disposition des Offices de Tourisme leurs données, car eux aussi, ils ont de bonnes idées. On leur permet également de les mettre à disposition des petites plateformes qui ne vont certes pas leur apporter le même volume de ventes qu’Airbnb, mais qui vont leur apporter des clients qui leur ressemblent, avec les mêmes sensibilités comme par exemple l’éco-responsabilité.
On a vu Atout France pendant le Covid promouvoir des consultants Google pour aller expliquer aux socioprofessionnels comment saisir leurs données dans Google et j’ai trouvé ça terriblement inquiétant] : cela nourrit à terme notre propre vulnérabilité, et ça, ce n’est pas acceptable. Il faut que l’on se batte pour qu’en France, on ait des acteurs qui s’en inquiètent, qui sont capables de structurer, de monter des projets à minima nationaux pour envisager des contextes d’usage qui vaillent le coup d’être développés, et sur lesquels les opérateurs touristiques pourront avoir in fine un modèle économique satisfaisant pour en vivre.
Il y a encore un gros travail d’information et de prise de conscience autour de la souveraineté de données à mener pour qu’elle soit mieux comprise et appréhendée par tous.

Quels sont vos objectifs de développement pour Uska dans un futur proche?

Notre ambition, c’est d’équiper plus de 2000 professionnels d’ici un an et demi avec Uska, qui est notre nouvelle plateforme à destination des socioprofessionnels et qui a pour promesse d’augmenter leurs réservations en ligne, de leur faire gagner du temps et de monter en compétence sur les enjeux du numérique. Et ce sont tous ces sujets qui posaient problème à Serge, notre guide accompagnateur dont je vous parlais.
Pour parvenir à atteindre notre objectif, on s’appuie financièrement sur la Caisse des Dépôts et Consignations et par la Banque des territoires.
A nos côtés aussi dans cet objectif de déploiement, nous avons le soutien de beaucoup d’offices de tourisme qui sont déjà nos clients, et qui souhaitent proposer Uska localement sur leur territoire à leurs socioprofessionnels avec un modèle économique d’apporteurs d’affaires.
On compte aujourd’hui à peu près 100 destinations qui utilisent Uska au quotidien depuis sept ans donc ça ouvre de belles perspectives, et on est impatient de rentrer dans cette étape active de notre de déploiement auprès de tous les socioprofessionnels implantés dans ces territoires