Une écoute attentive des voyageurs pour une nouvelle offre de croisière

Clément Mousset

Poste : Co-fondateur et CEO Compagnie Française de croisières (CFC)

Pouvez-vous nous présenter la genèse de CFC Croisières, Compagnie Française de Croisières ?   

Il y a 25 ans, la croisière représentait moins de 100 000 passagers en France contre 600 000 aujourd’hui. Quand vous comparez le marché français avec le premier marché européen qu’est l’Allemagne, la France fait pâle figure. En Allemagne, ce sont 2,2 millions de croisiéristes et une offre pléthorique d’armateurs là où en France, 90% des passagers sont gérés par deux acteurs principaux, Costa et MSC Croisières et plus sporadiquement par un opérateur haut de gamme, Ponant. Trois opérateurs seulement, c’est bien peu pour dynamiser un marché et le porter haut. Notre idée a germé en 2016. A l’époque, Croisières de France existait encore. Le modèle était intéressant mais la compagnie n’était pas gérée par des français. Les décisions semblaient plutôt guidées par des choix économiques que par une écoute des voyageurs et de leurs besoins. Or nous étions convaincus que le marché français ne se développerait qu’à cette condition et nous avions donc tenté de lever des fonds sans succès. C’est pourquoi en 2019, nous nous étions rapprochés d’une compagnie britannique, Cruise and Maritime Voyages, qui était peu présente sur le marché et souhaitait s’y développer. Mais la crise sanitaire a emporté cette compagnie et n’a pas permis l’aboutissement du projet malgré un accueil qui était très prometteur. Nous sommes donc repartis dans une levée de fonds pour créer notre propre compagnie, ce qui était clairement le projet initial, et nous sommes devenus Compagnie Française de Croisières le 12 août 2022 en rachetant le paquebot Maasdam que nous avons renommé “Renaissance”.

 

Pourquoi l’écoute est devenue votre élément de différenciation aujourd’hui ?

Tout simplement pour répondre à une demande. L’écoute est essentielle, que ce soit celle des agences de voyages ou des passagers. Dans mes
expériences précédentes, j’entendais régulièrement à bord des navires que les voyageurs demandaient des bateaux de plus petites capacités. Or beaucoup d’opérateurs ont préféré aller à l’encontre et augmenter la taille et la capacité de leurs navires. Dans un sens, c’est positif, car cela permet d’accueillir un volume plus important de passagers pour faire découvrir la croisière au plus grand nombre. Pour autant, certains clients ne semblent plus portés par ce gigantisme, surtout en période post-covid. Nous le retrouvons dans nos études auprès des voyageurs
où 67% déclarent vouloir partir sur un navire de moins de 2 500 passagers. Avec une capacité de 1100 passagers pour notre bateau Renaissance, je pense que nous avons parfaitement su répondre à cela.

 

Sur quelles lignes allez-vous opérer et avec quelles particularités sur le programme ?

Nous proposons des départs et des itinéraires variés qui se renouvellent à chaque croisière. Ainsi, depuis Le Havre, les départs se feront vers l’Irlande, la Norvège, l’Islande ou les Canaries. Depuis Marseille, nous partirons aussi pour la Grèce, l’Adriatique ou l’Algérie qui sera une première dans l’industrie. Une de nos particularités repose sur la marque et le segment de clientèle que nous souhaitons attirer: une clientèle franco-internationale adepte de la French Touch. Nous allons chercher celui qui ne se reconnaît plus dans l’offre actuelle et celui qui n’a pas les moyens de partir sur du haut-de-gamme. Ainsi, nous avons développé une offre de marché Premium qui était totalement inexistante en France. Elle se traduit par exemple par un travail important porté sur la gastronomie, le service et le confort à bord et tout cela dans la langue de Molière. A noter que deux autres navires sont prévus pour renforcer notre flotte en 2025-2026. Nous projetons ainsi une croissance pour CFC d’environ 90 000 passagers à l’horizon 2027. C’est une croissance mesurée et respectable. Le marché français est un marché de temps et le prendre est nécessaire pour avancer correctement tout en s’assurant d’écouter les voyageurs. C’est notre vision avec CFC, et c’est
l’ADN premier de notre projet.

 

Comment vous positionnez-vous par rapport aux revendications durables qui s’accentuent contre les croisiéristes ?

Il y a quelques années, une journaliste avait fait un reportage à charge contre les croisiéristes, en précisant qu’un paquebot de croisière polluait autant qu’un million de voitures par jour. C’était surréaliste mais personne n’a jamais vérifié ces données et les gens l’ont cru naïvement. Un navire de croisière pollue, certes, mais certainement moins que le cumul de la pollution qui serait générée par chaque passager en voiture individuelle.

D’ailleurs, l’industrie de la croisière représente 300 navires de croisière dans le monde contre 98 700 navires de commerce. Ne croyez-vous pas qu’on se trompe de cible? La croisière est depuis plus d’une quarantaine d’années l’industrie la plus ver-
tueuse du monde du tourisme. Nous n’avons pas attendu qu’il y ait des revendications dans l’actualité pour prendre en considération les normes écologiques. Mais qui le dit ? Personne! On préfère taper sans vraiment savoir de quoi on parle. Par exemple, depuis plus de quarante ans est mis en place un recyclage permanent sur les navires. Aussi, depuis plus d’une vingtaine d’années, nous pensons aux conséquences environnementales causées par les évacuations de cheminées avec l’installation de pots catalytiques. Si nous prenons l’exemple du Renaissance – qui opérait précédemment en Alaska – il était déjà équipé de scrubbers, c’est-à-dire des laveurs de particules fines.

Nous avons choisi ce navire, justement parce qu’il était déjà parfaitement normé et nous continuons de l’améliorer pour anticiper l’ensemble des prochaines normes environnementales.

Enfin, concernant les carburants, je crois au carburant 100% bio car a priori, cela fonctionne. Je suis plus mesuré sur les paquebots à voile ou au GNL. Ce dernier est un gaz léger qui nécessite cependant beaucoup de place pour être stocké: ce qui est possible pour les très grands paquebots, ne l’est plus pour les plus petits. Aussi, son prix continue d’augmenter, ce qui questionne également l’usage à moyen terme de cette énergie. Demandez donc aux armateurs s’ils utilisent vraiment le gaz aujourd’hui…

 

Comment se passe le lancement de cette saison ?

La lancement a été décalé de trois mois suite à un retard sur l’acheminement de matériaux du navire. Or un navire, ce n’est pas une voiture, tout prend plus de temps… Notre programmation va débuter et s’enchaîner avec des taux de remplissage qui sont aujourd’hui prometteurs. Même si nous sommes sur un marché qui devient un late booking market, nous arrivons tout de même à avoir des réservations en amont de 6 à 18 mois avant le départ. Ainsi, les premières croisières sont déjà plutôt bien chargées et annoncent une belle saison.