Un tourisme scientifique sous plusieurs formes

Pascal Mao

Poste : maître de conférences en géographie culturelle, Université Grenoble Alpes

Pouvez-vous nous expliquer comment vous avez découvert le tourisme scientifique et quelle définition pouvons-nous lui donner ?

Je suis géographe à la base et spécialisé dans les activités récréatives, touristiques et sportives. J’ai commencé à travailler sur les hauts lieux touristiques que ce soit les Gorges du Verdon, l’Ardèche ou Chamonix. Par la suite, je me suis spécialisé sur les lieux non touristiques, ou du moins qui ne le sont pas encore ou qui ne le seront jamais. Un jour, un collègue de l’université, Fabien Bourlot (géographe et géologue), m’invite au fin fond de la Patagonie, où il n’y avait ni route ni infrastructure touristique.

Il me propose d’intervenir dans un colloque universitaire puis de rentrer dans un projet de tourisme scientifique qui fait l’objet d’un consortium entre différents laboratoires de recherche et universités. J’ai été surpris par l’association du tourisme et de l’aspect scientifique et comme je ne connaissais pas encore, j’ai commencé à lire tout ce qui traînait sur internet, ouvrages et articles. J’ai découvert que cette notion remonte à la fin du XIXe siècle. Elle est aussi vieille que le tourisme et regroupe plusieurs éléments, autour des notions de sciences, de pédagogie, de tourisme de recherche, etc. Nous avons donc écrit un essai de définition pour la revue scientifique Téoros en 2011 en précisant qu’elle reposait sur plusieurs formes afin d’en éclaircir la notion:

• L’écotourisme associe des scientifiques dans la médiation des milieux ou des espaces, comme des vulcanologues qui accompagnent des groupes sur des volcans pour expliquer les activités volcaniques ou des ornithologues qui accompagnent des groupes pour découvrir l’écosystème.

• L’éco volontariat : dans le cadre de projets plus ou moins scientifiques, des volontaires sont associés pour faire l’inventaire faunistique ou des camps d’archéologie, identifier des baleines dans les fjords, etc. Les gens participent à un projet de conservation ou de connaissance et donc de science participative d’une certaine manière. C’est une action citoyenne qui contribue à une activité de recherche.

• Les formes d’aventures sportives avec un alibi scientifique, par exemple, l’alpiniste qui grimpe avec une équipe en haut d’un sommet pour en calculer l’altitude. L’expérience associe le côté scientifique et positif de l’aventure. Les spéléologues sont sportifs et scientifiques et ils mènent des études sur des milieux karstiques.

• Le colloque scientifique : quand je vais à l’étranger faire une mission scientifique, je prends un avion touristique, j’ai un visa touristique, je vais dans un hôtel touristique. J’ai les mêmes dépenses en mission que lorsque je suis touriste pour mes loisirs. De fait, et c’est surtout vrai en Patagonie, il y a tellement d’acteurs touristiques qui travaillent pour des expéditions scientifiques que l’activité touristique et scientifique devient structurante pour le territoire.

 

Quel imaginaire tient le tourisme scientifique auprès des voyageurs ?

Pour le questionner, il y a une thèse en cours de Yannick Vialette dans les Alpes françaises. Il souhaite comprendre comment les usagers et les touristes s’approprient cette notion. On note qu’il y a une forme d’appétence et d’intérêt pour cette notion. Ce n’est pas parce qu’on est en période de temps libre qu’un peu de connaissance ne participe pas à l’expérience touristique. Puis c’est comme le Grand Tour avec les Anglais qui traversaient l’Europe pour voir de grands centres universitaires. C’est vieux comme le tourisme, les intellectuels européens rencontraient, échangeaient et parcouraient déjà ces chemins initiatiques dans le voyage.

Les sciences dans le tourisme font partie du tourisme culturel, mais ne font pas forcément partie du tourisme scientifique. Pour qu’il y ait tourisme scientifique, il faut une médiation, une intervention d’un scientifique. D’ailleurs, ce n’est pas uniquement une expérience de médiation, c’est aussi un protocole de recherche qui peut être passionnant pour plusieurs publics, même si la réalité montre que ça intéresse surtout des classes plus privilégiées.

 

Peut-on envisager une forte accélération de ce tourisme scientifique auprès de professionnels du tourisme ?

Ce sont surtout les acteurs territoriaux qui peuvent s’en emparer. Par exemple, le tour-opérateur Excursia avait fait une convention avec le CNRS pour développer des séjours scientifiques. Ils ont changé leur communication et l’ont fait évoluer plutôt vers du culturel, mais au départ, ils étaient bien positionnés sur des séjours scientifiques. Je pense qu’on est à l’émergence du phénomène, il y a une vraie niche potentielle. Le site eco-volontaire.com qui recense des séjours à l’échelon mondial en est un bon exemple qui montre cette forme montante d’implication.

 

Comment encourager le développement de ces initiatives à l’échelle nationale et/ou internationale ?

Nous avons monté un réseau international de tourisme scientifique, International network of scientific tourism et fait une manifestation pour lancer le réseau. Nous avons envoyé un appel à communication dans nos réseaux proches et nous avons rapidement rassemblé 45 chercheurs volontaires qui ont souhaité communiquer sur le sujet, de toute l’Europe et du monde entier. Je ne suis plus certain que la première motivation du voyage aujourd’hui soit de ne plus rien faire. La dimension éducative du voyage est pertinente, mais pas tout le temps systématique. Mais quand on voit un certain nombre de lieux touristiques qui s’ouvrent là-dessus, les gens sont intéressés, car on leur offre cette possibilité, un autre argument, en termes de conscientisation, d’enjeux globaux et ça a du sens. Certains veulent connaître les résultats, d’autres voudraient découvrir l’écosystème et nous n’avons rien à leur offrir. La notion de tourisme scientifique peut être une manière de constituer un projet de territoire pour un parc national, pour un espace touristique ou autre, en développant plusieurs initiatives. Le jeu n’est pas de recréer des choses, mais de les articuler et de les animer d’une certaine manière.

 

Bibliographie : Mao, P., & Bourlon, F. (2011). Le tourisme scientifique: un essai de définition. Téoros: revue de recherche en tourisme, 30(2), 94-104.