Ralentir le rythme des vacances dans une société qui s’accélère

Romain Marion

Poste : Directeur, CHEMINS DU SUD

Pouvez-vous nous rappeler la genèse de Chemins Du Sud ?

C’est en 1983, que Nicolas Dessaux, berger dans les Cévennes, décide de se reconvertir dans l’activité de randonnée porté par l’envie de faire découvrir et de partager les paysages qu’il parcourait chaque jour. Bien que la marque ne fut officiellement créée que quelques années plus tard, c’est là que Chemins du Sud est né. Ensuite, l’offre va s’étoffer avec la Lozère, le Luberon, le Pays Cathare, jusqu’en Italie où Nicolas Dessaux y avait des souvenirs d’un voyage d’enfance. Chemins du Sud a été un véritable pionnier de la randonnée dans les années 80 et parmi les 1ers opérateurs à proposer aux voyageurs français ce type de circuits en Italie. Et c’est exactement à cette période-là que d’autres pionniers sont apparus sur le marché de la randonnée comme Terres d’Aventure, Grand Angle, La Balaguère, etc qui sont devenus pour certains aujourd’hui des mastodontes. Nous sommes aujourd’hui, tout en restant modestes par notre taille, un tour-opérateur de référence sur des séjours randonnée dans le sud de la France et en Italie, dont nous sommes les créateurs et producteurs  en direct.

 

Chemins du Sud est aujourd’hui une SCOP, pouvez-vous revenir sur les raisons de ce choix ?

En 2016, Nicolas Dessaux préparait son départ à la retraite. Il a fait alors le choix avec son équipe d’une transmission de son entreprise à ses salariés, sous forme de SCOP, Société Coopérative et Participative. En fait, il ne souhaitait pas risquer que son entreprise perde ses valeurs et son expertise en tombant aux mains d’un grand groupe. Aujourd’hui, Chemins du Sud est une entreprise 100% indépendante sans actionnaire externe. Au-delà du statut et de l’actionnariat, quelles sont les particularités d’une SCOP ? Toutes les décisions sur la vision et les valeurs de l’entreprise sont soumises au vote des associés dont je fais partie. Une personne égale une voix donc sur les décisions liées aux valeurs de l’entreprise je n’ai pas plus de poids qu’une autre personne quel que soit son salaire, son ancienneté dans l’entreprise, que son poste. De la même manière, la répartition du bénéfice a été votée avec une répartition entre les salariés de minimum 33% selon un critère: le temps de travail effectué sur l’année écoulée en entreprise.

Pour revenir sur votre offre et vos clients, quelle est votre cible ?

Bien que ce ne soit pas une volonté de cibler spécifiquement les seniors, ils sont aujourd’hui notre principale clientèle. C’est un public qui a du temps, qui aime marcher et qui se retrouve dans notre identité. Je m’explique : le public des 30-40 ans mène de front vie personnelle et professionnelle à un rythme très soutenu. En période de vacances, cela conduit à des exigences élevées et donc à un rapport de force entre le client et le fournisseur. A contrario, la clientèle senior vit à un rythme plus calme, plus lent avec des attentes différentes et auxquelles nous adaptons notre démarche commerciale. A titre d’exemple, un appel en moyenne va durer minimum 15 minutes par client. C’est un temps qui semble peut-être très long mais il est pour nous nécessaire, et nous sommes reconnus pour ça.

 

En quoi la randonnée répond-elle à un besoin de ralentissement face à un rythme de vie qui s’accélère ?

Il est certain que les seniors ne sont pas les seuls intéressés par ce type de pratique et de voyages. On observe que lorsque d’autres cibles essayent ce type de séjour, notamment les jeunes cadres ou les familles, elles les apprécient parce que ces expériences permettent la reconnexion à soi, à l’autre. Ce besoin de reconnexion, il a été très fréquent voire vital pendant la période Covid. Le fait de devoir rester chez soi et de n’avoir qu’une heure pour aller dans un parc, une colline, une forêt représentait le graal de la journée! Beaucoup de personnes, suite à cette période, ont voulu se retrouver dans la nature, se reconnecter à elle ou encore la protéger. C’était flagrant dans les échanges que nous avions avec les clients notamment lors du premier salon que nous avons fait post-covid: Destinations Nature en Mars 2021. En plus de ça, nos clients ont le choix entre une formule liberté, en autonomie où chacun est à son rythme doucement et librement, et entre une formule groupe. Lorsque l’on part en groupe, chacun se met au rythme du plus plus lent et accepte finalement ce ralentissement et à travers cela de se connecter à l’autre pour que le groupe ne fasse plus qu’un.

 

Pouvons-nous considérer que nous faisons face à une accélération du nombre de randonneurs ?

Effectivement, notre activité marche bien. Il y a un nouveau public qui vient nous voir, qui se met à la randonnée et qui est demandeur de propositions d’un niveau débutant. Donc nous avons fait évoluer notre programmation pour répondre à cette nouvelle demande. Cette accélération du nombre de randonneurs est significative également car la randonnée est accessible à tous en terme économique. Une paire de chaussures, un sac à dos et une gourde, cela suffit! On a besoin de peu pour randonner. Côté forme physique, nos offres sont accessibles à toutes les typologies de personnes. Nous avons mis en place différents niveaux sur nos séjours du niveau 1 au niveau 4. C’est d’ailleurs sur les niveaux 1  et surtout 2 que nous faisons le plus de ventes.

 

Pouvons-nous considérer la randonnée uniquement dans des espaces ruraux ?

En tant qu’amoureux du trek et passionné d’outdoor, la randonnée reste pour moi plus liée aux grands espaces et à la nature qu’à l’environnement citadin qui permet moins la déconnexion. Néanmoins, du moment que l’on peut marcher, il y a cet espace de randonnée. La preuve, on a vu apparaître des termes comme trek urbain ou city trek. Chemins du Sud propose par exemple un séjour à Rome ou à Venise. Ces deux villes, réels musées à ciel ouvert, se prêtent à la marche et donc à la randonnée et à la découverte de lieux culturels et d’espaces naturels comme la lagune à Venise.

 

Pouvons-nous faire un parallèle entre la structure de votre entreprise et la pratique de la randonnée ?
Complètement. Cette idée de partage avec l’autre, cette envie de découvrir et de construire avec l’autre se retrouve beaucoup dans notre politique interne. Aujourd’hui, nous sommes 10 collaborateurs ainsi que des accompagnateurs associés au sein de Chemins du Sud. Nous sommes tous différents mais nous fonctionnons tous pour le collectif tel un groupe de randonneurs. Bien sûr nous portons une mission commune qui est le succès de notre entreprise, mais dans l’écoute et la prise en compte de ce que chacun a à dire ou à apporter à l’entreprise. C’est le principe du management horizontal. Cela se retrouve dans notre recrutement aussi. Nous veillons à ce que les nouvelles recrues  aient avant tout un état d’esprit qui s’inscrit dans cette vision du collectif et du partage. J’ai demandé aux équipes récemment de réfléchir à un slogan, une baseline autour de notre marque Chemins du Sud. De ce brainstorming est ressenti la phrase suivante: l’art de marcher ensemble. Je pense que cela résume entièrement la structure de notre entreprise et notre activité tournée autour de la randonnée.

 

L’une des missions de Chemins du Sud sous votre statut de SCOP est la stabilité économique et la qualité de prestations, loin d’une politique de croissance à tout prix, loin d’une recherche de développement théorique. Comment cela se traduit concrètement ?

Avant Chemins du Sud, j’ai travaillé dans ce que j’appelle moi de grandes entreprises, avec plus de 100 collaborateurs, et il y a des choses dont j’ai souffert en tant que salarié que ce soit au niveau de la reconnaissance, la communication interne, des processus non adaptés etc. Quand je suis arrivé chez Chemins du Sud, j’ai adhéré complètement au fait que les valeurs prennent une place forte dans les choix de l’entreprise. Nous ne voulons pas d’une croissance à tout prix, une croissance théorique infinie. Sinon on va droit dans le mur! Les ressources naturelles de notre planète ne sont pas illimitées. Le concept théorique de décroissance existe. On en parle sans vraiment agir pour le moment parce qu’on a pas encore la tête complètement dans le mur. L’humain a besoin de s’écraser pour pouvoir réagir. Pour revenir à Chemins du Sud, en externe, il nous est même arrivé de refuser certains partenariats qui risquaient de saturer nos guides accompagnateurs en terme de volume et de réduire notre qualité. En interne, nous recrutons prudemment. Il est hors de question pour nous de licencier. En 2022, nous avons recruté 2 nouveaux apprentis de l’ESCAET et 3 en 2023!

Cette année, nous prévoyons de nouveaux recrutements également pour consolider la croissance observée ces deux dernières années. Nous allons également proposer à des salariés d’être associés car tous ne le sont pas à ce jour.