Des rassemblements professionnels autour d’un événementiel durable

Guillaume Philippe

Poste : Directeur de clientèle & Responsable du pôle événements, BlueCom

Pouvez-vous vous présenter et nous expliquer comment Blue Com a été créée ?

Je suis Guillaume Philippe, et je travaille chez Blue Com à Poitiers depuis 2 ans. Cette agence, fondée il y a 33 ans, m’a accueilli pour établir un département événementiel basé sur une valeur clé de Blue Com : l’éco-responsabilité. Avant cela, j’avais passé 15 ans à organiser des événements principalement à Paris en agence, plutôt que chez les annonceurs.
Blue Com avait déjà réalisé son premier bilan carbone en 2007-2008, ce qui était en avance sur son temps. C’est à cette époque que j’ai fait la connaissance de l’agence. Travaillant à Paris dans l’événementiel, j’avais déjà intégré la dimension du développement durable dans mon travail, mais il était parfois difficile de convaincre des personnes moins engagées.
Comme beaucoup d’entre nous après la pandémie, j’ai remis en question ma trajectoire professionnelle et j’ai finalement décidé de créer ma propre entreprise. J’ai repris contact avec les cofondateurs de Blue Com, qui avaient une véritable préoccupation pour l’éco-responsabilité dans leur ADN, et nous avons décidé de nous lancer pleinement dans cette aventure.
Aujourd’hui, Blue Com est spécialisée dans trois domaines : le conseil, la stratégie de communication responsable, y compris la communication imprimée, audiovisuelle et en ligne, avec un studio interne. Le deuxième volet concerne l’événementiel à faible impact carbone. Enfin, Blue Com développe ses propres événements depuis plus de 10 ans, notamment dans le domaine de la mobilité durable et de la mode responsable en Nouvelle-Aquitaine.

Cette notion de sensibilisation durable a-t-elle évolué depuis 2007-2008, lorsque le bilan carbone était au centre des préoccupations ? Comment la définiriez-vous aujourd’hui ?

Absolument, cette notion a évolué, et la pandémie de Covid-19 l’a accélérée. La prise de conscience générale en matière de durabilité s’est généralisée. Et je l’espère, elle deviendra même obligatoire. Aujourd’hui, lorsque nous organisons un événement, qu’il s’agisse de tourisme ou de voyages d’affaires, nous devons réfléchir à la manière de réduire son empreinte carbone, en identifiant tous les points critiques, tels que le transport, la restauration et l’hébergement. Ensuite, nous calculons le bilan carbone de l’événement et enfin, nous le compensons. Notre objectif est d’atteindre la neutralité carbone d’ici 2050, et nous devrons imposer notre vision aux clients les plus réticents pour les aider dans leur propre démarche. Actuellement, nous proposons déjà un accompagnement pour la décarbonation des événements, ce qui fait partie de notre offre globale d’organisation d’événements. Ensuite, en option, nous calculons le bilan carbone de l’événement pour proposer des solutions de compensation. Je pense que cette tendance va s’accélérer avec le temps et j’espère qu’elle sera encadrée par une législation pour la rendre naturelle. Cependant, elle peut encore susciter des réticences chez certains clients.

Donc, pour vous, la réduction de l’empreinte carbone lors des événements est au cœur de l’événementiel durable. Y a-t-il d’autres éléments à considérer ? Comment définiriez-vous un « événement durable » ?

Avant même de penser au bilan carbone, nous réfléchissons aux points sensibles et aux aspects qui génèrent des émissions de carbone lors d’un événement. Selon l’ADEME, 50 à 70 % des émissions de gaz à effet de serre lors d’un événement proviennent du transport. Par conséquent, notre approche commence par réduire l’impact carbone du transport. Depuis 2023, j’ai pris la décision de ne plus accompagner les entreprises françaises souhaitant organiser des événements à l’étranger. Cela peut sembler contraignant, mais c’est une décision significative. Cela implique de choisir des lieux stratégiques nécessitant moins de déplacements, d’opter pour des solutions de mobilité à faible émission de carbone comme le covoiturage, et de planifier les événements en fonction des horaires de train, de bus, etc. Tout cela doit être communiqué. Il existe de nombreuses options pour réduire considérablement l’empreinte carbone liée au transport.
Ensuite, il y a la restauration, où il y a beaucoup de travail à faire également. Nous identifions les points sensibles et cherchons à décarboner cette partie de l’événement. Le calcul du bilan carbone vient en second plan. Il est essentiel de ne pas commettre l’erreur de penser : « Nous organisons l’événement, nous le réalisons pleinement, puis nous calculons le bilan carbone et ensuite nous le compenserons de toute façon ». Ce n’est pas la bonne approche.

Deux questions: comment substituer une expérience à l’étranger par une expérience en France aujourd’hui ? Comment persuader un partenaire que cette expérience sera aussi enrichissante pour les participants ?

Je suis convaincu, comme le montre ma propre expérience, que notre pays offre une diversité de paysages : montagnes, mer, collines, forêts, carrières et que nous avons tout ce dont vous avez besoin. Il est donc essentiel de concevoir des solutions originales et de démontrer que le fait d’être en France n’empêchera pas de vivre une expérience enrichissante. Lorsque vous proposez un événement avec un objectif précis, comme un projet de cohésion d’équipe pour une entreprise, il est important de montrer que le choix du lieu et des activités ludiques peuvent offrir une expérience de grande envergure en matière de cohésion.
Un autre point crucial est de réfléchir à comment vous pouvez réinvestir les économies réalisées sur les frais de transport, pour améliorer les activités ou améliorer les installations d’hébergement. Cela sera grandement apprécié.
Il est également important de rappeler que l’étranger n’est pas nécessairement exclu, tant que les moyens de transport ne sont pas en avion. Vous pouvez vous rendre en train en Italie, en Belgique, en Angleterre, en Allemagne ou en Espagne.

Actuellement, vous mettez l’accent sur la compensation carbone. On dit souvent que le meilleur déchet est celui qui n’existe pas. Y aura-t-il toujours besoin de compenser le carbone dans l’événementiel ?

Oui, il y aura toujours une empreinte carbone inévitable due à la production. Par exemple, j’organise un événement au Futuroscope le 28 septembre pour 1000 personnes. Nous avons travaillé en étroite collaboration avec le traiteur pour proposer un menu dont le producteur le plus éloigné se trouve à seulement 20 km. Cependant, il y aura toujours des déchets alimentaires inévitables que nous devrons compenser, comme dans de nombreux autres domaines.
Il est essentiel de considérer la réflexion stratégique globale d’une entreprise qui souhaite organiser un événement. Je propose d’envisager des alternatives, par exemple : plutôt que d’organiser traditionnellement 4 événements en présentiel, ne pourrions-nous pas en réaliser 2 en ligne ou en hybride, et 2 en présentiel, afin de réduire considérablement notre impact environnemental ?. Des outils de digitalisation des événements sont disponibles, et certaines entreprises l’ont déjà adoptées.

Ne serait-ce pas préjudiciable pour une agence événementielle de conseiller aux entreprises de réduire leurs événements ?
Actuellement, pour être en mesure d’organiser un événement numérique, notre agence a dû évoluer. J’avais déjà une sensibilité technique, mais nous avons réalisé un travail considérable en matière de digitalisation et d’engagement des participants, dès l’invitation. Nous avons créé des kits d’expérience événementielle, contenant par exemple un mug et des chaussettes pour les participants, afin de les impliquer davantage, même lorsqu’ils assistent à l’événement depuis chez eux en hiver.
Nous avons également investi dans la communication, l’amélioration des prestations événementielles, l’animation audiovisuelle, et les dispositifs techniques. Bien sûr, cela implique des coûts, mais nous nous sommes adaptés en proposant de nouvelles solutions qui offrent de nouvelles opportunités tout en minimisant les pertes.
En fin de compte, de nouveaux métiers sont apparus au sein de notre agence, tels qu’un designer, un vidéaste et un développeur web spécialisé dans les sites événementiels et les applications pour les événements en ligne. Nous avons su nous adapter en proposant de nouvelles prestations événementielles à nos clients.

 

Les participants ont-ils conscience de l’aspect durable de l’événement ?

C’est un point important pour nous. Nous encourageons les entreprises à communiquer sur l’aspect durable de leurs événements. Par exemple, pour l’événement du 28 septembre, nous avons un site dédié avec une page spécifique sur l’écoconception, expliquant comment nous avons réduit l’empreinte carbone. La transparence est essentielle pour impliquer les participants.
Nous observons également cette sensibilisation dans la scénographie. L’utilisation de mobilier sur mesure ou recyclé, la location de mobilier plutôt que l’achat de neuf font la différence. Il est crucial d’être transparent et de sensibiliser le public, notamment à travers des animations. Au cours des deux dernières années, nous avons privilégié des formats tels que des fresques du climat et la biodiversité, en fournissant des outils et des bonnes pratiques que les entreprises clientes peuvent appliquer chez elles.

Est-il difficile de trouver des fournisseurs et partenaires partageant vos valeurs et exigences ?

Il y a quelques années, on me qualifiait de « pénible » chez nos fournisseurs. Cependant, les choses ont évolué, car tout le monde doit s’adapter. Les lieux de réception réfléchissent désormais à leur empreinte énergétique pour économiser l’électricité et l’eau, ce qui est bénéfique tant pour les finances que pour l’environnement.
Les traiteurs ont également dû s’adapter en raison de la demande et de considérations économiques. Le gaspillage alimentaire sera bientôt sanctionné, ce qui incite à plus de précaution. Chez Blue Com, nous avons une politique de zéro gaspillage lors de nos événements. Les surplus de nourriture sont reconditionnés et donnés à la Croix-Rouge. Bien que cela ait été difficile et long, la plupart des fournisseurs comprennent maintenant cette approche. Il y a cinq ans, ma démarche était vue comme étrange, mais aujourd’hui, elle est bien acceptée.

Actuellement, votre entreprise semble être en avance sur la question de la durabilité. Quel est l’avenir des agences événementielles en ce qui concerne la durabilité ? Allez-vous maintenir cet avantage ?

C’est une question qui me divise. Je constate que de nombreuses agences, du jour au lendemain, se présentent comme des défenseurs de l’environnement, mais elles ne changent pas fondamentalement leurs pratiques tout en se vantant d’être « écoresponsables ». Je pense que nous devons nous engager sérieusement, car nous n’avons guère d’autre choix. Nous pouvons immédiatement rectifier les émissions de carbone générées par l’homme. J’espère sincèrement que tout le monde fera des efforts et améliorera la gestion des événements.
Certaines entreprises font un excellent travail en formant leur personnel en interne et en sensibilisant leurs clients. Je suis plutôt satisfait de voir des concurrents s’impliquer sérieusement dans cette démarche. De notre côté, nous nous démarquons en offrant des services de conseil. Nous avons développé un accompagnement pour la création de chartes événementielles à faible empreinte carbone, pour des entreprises qui ont déjà des chefs de projet événementiel en interne mais qui ne sont pas encore totalement engagées dans l’écoconception.
Je reste très optimiste, mais je crois fermement que nous devons tous travailler dans la même direction. Le scepticisme existe toujours, mais nous devons être responsables dans notre communication et tenir nos promesses. En conclusion, je tiens à ajouter que la réorientation de nos événements vers le développement durable et l’écoconception offrent aux professionnels une opportunité de renouveler leur réflexion, de développer de nouveaux réflexes, tant dans leur vie professionnelle que personnelle. C’est un processus très positif qui a un impact durable.