Dynamique d’une recherche participative

Thomas Egli

Poste : Fondateur président, Objectif Sciences International président TERRA SCIENTIFICA

Pouvez-vous vous présenter et nous présenter la genèse d’OSI (Objectif Sciences International) ?

J’ai créé l’association à 17 ans car, à l’époque, je souhaitais pouvoir mener des recherches réelles. Nous avons donc créé ce qui est aujourd’hui appelé la recherche participative et rapidement, à partir de 1995, nous avons commencé à organiser des séjours et voyages d’éducation aux sciences par la pratique sur des projets concrets. C’est en 2004 que nous avons étudié les possibilités de la recherche réelle dans ces voyages et que nous avons créé des voyages scientifiques tels que décrits aujourd’hui.

Ce ne sont pas des voyages comme chez d’autres opérateurs avec un guide ou des voyages initiatiques ou solidaires comme ceux proposés par certaines associations dans les domaines qui touchent la nature et les animaux. C’est vraiment un mélange de tout cela à la fois et de ce qui permet d’arriver à un niveau de recherche suffisant. Effectivement, nous garantissons le socle minimum vital pour qu’un voyage se passe bien mais parce qu’il y a des encadrants scientifiques, nous sommes capables de mener de la recherche réelle.

Quant à OSI, c’est une association devenue une ONG internationale qui est maintenant reconnue par l’ONU et dont les recherches réelles entrent dans des programmes internationaux comme le projet Panthera pour la panthère des neiges.

Mes activités recouvrent d’une part OSI mais également l’organisation du Forum de Genève qui a lieu tous les ans en décembre à l’ONU. On y héberge la conférence annuelle internationale du tourisme responsable pour le développement durable au cours de laquelle il y a des partages de pratiques entre les porteurs de projets. Le tourisme change de forme, de format, de visage et les scientifiques interviennent pour mettre en exergue un certain nombre de tenants et aboutissants du tourisme. L’objectif du Forum de Genève est de faire se rencontrer des acteurs qui ne le feraient pas en temps normal – ONG et autres acteurs du tourisme – et d’en sortir des projets communs.

Je m’occupe également d’une conférence à l’UNESCO sur les politiques gouvernementales des sciences citoyennes comme outil à disposition des gouvernements. Les sciences citoyennes permettent aux citoyens de monter en compétences et également d’être intégrés à la cause. De ce fait, à la sortie du résultat de la recherche scientifique, le gouvernement y gagne car les citoyens qu’il aurait fallu mobiliser pour la cause sont déjà sensibilisés car ils ont mené la recherche.

 

Avez-vous un exemple de séjour pour illustrer ces recherches scientifiques ?

En 2005, l’année pilote, des jeunes de 13 ans étaient sur un séjour planète qui combinait géologie et astronomie. Ils ont travaillé sur la compréhension de la planète Mars à partir des formations géologiques qui étaient sur la Terre. Ils récupéraient des données et se sont focalisés sur une parcelle de Mars qui n’avait pas encore été documentée. Ils ont envoyé leurs données à la NASA qui coordonnait la cartographie. Maintenant, sur les cartes de Mars de la NASA il y a des cratères qui portent les noms donnés par ces ados.

En 2006, nous avons lancé des recherches, une expédition sur les traces de la panthère des neiges. Cela fait désormais 16 ans que nous travaillons là-bas et nous avons des citoyens qui partent sur un voyage difficile avec un effet de développement passionnel certain. Au début, lorsque nous avons décidé de maintenir ce projet coûte que coûte, nous n’avions pas encore réellement conscience de sa valeur. Après plusieurs années, des laboratoires au Canada ou en France nous ont dit que nous étions les seuls au monde à avoir de telles données pour cette population. Cela a une valeur inestimable et cela démontre l’utilité de faire de la recherche réelle avec des non-chercheurs dans le cadre d’un acte engagé par un citoyen.

 

Avez-vous développé un positionnement de niche ?

Il y a forcément une contrainte liée au prix car, contrairement à un voyage normal, il va y avoir une coordination entre les encadrants du point de vue scientifique, en plus d’une coordination sur un voyage classique. Il y a aussi énormément de préparation supplémentaire et de travaux dans le cadre de l’analyse. Mais si on arrive à former les professionnels qui encadrent les voyages déjà existants à l’encadrement scientifique, ça évite de devoir rajouter un coût lié à la formation scientifique. Mais finalement, ce n’est pas le plus limitant car soit la clientèle a les moyens mais ce n’est clairement pas ce dont elle a envie, soit elle n’a pas les moyens et il existe de très nombreuses solutions pour essayer de débloquer des financements, notamment pour les jeunes, à qui le voyage peut ne revenir à presque rien.

 

Constatez-vous un engouement pour ces types de séjours ?

Oui et de plus en plus. Pendant la période Covid, nos voyages ont explosé et cette année nous allons faire +10 % de croissance alors qu’il y a une très forte concurrence que nous n’avions pas les années précédentes. Les personnes qui s’intéressent à ces sujets et qui y sont sensibles sont de plus en plus nombreuses. Uniquement sur les voyages individuels nous faisons partir chaque année plus de 1’000 personnes.

 

Et comment arrivez-vous à capter et attirer des voyageurs ?

Nous avons une newsletter qui permet d’informer notre public. Certains arrivent par les réseaux identifiés, spécialisés, d’autres par les associations de parents d’enfants surdoués, d’enfants de chercheurs tandis que certains parents partent eux mêmes sur ce type de voyage. Finalement, nous avons un tiers d’adultes/familles, un tiers d’adolescents et un tiers d’enfants.

 

Comment les scientifiques ont-ils reçu le développement de cette nouvelle forme de tourisme ?

C’est un peu le paradoxe des créateurs qui arrivent avant l’engouement: nous avons été violemment critiqués parce que nous faisions des recherches réelles lors des voyages pour enfants et adultes. Ça a été un choc pour la communauté scientifique. Mais parmi eux, il y en a un certain nombre qui se sont passionnés pour ce que nous faisions, qui sont venus lors de séjours pour voir comment cela se passait tandis que d’autres ne prenaient pas le temps de se renseigner ou pensaient que c’était une hérésie de faire de la recherche sans être chercheur, même encadré par des gens compétents et autour d’un projet.

Encore aujourd’hui, il y a à peu près la moitié des directeurs de recherche qui sont pour et l’autre moitié contre mais ceux-là n’ont plus tellement d’arguments. Surtout, les sciences citoyennes ont montré qu’elles étaient complémentaires à celles des chercheurs car elles partaient sur des terrains différents.

 

Pouvons-nous parler d’un engouement autour du tourisme scientifique par les professionnels du tourisme ?

Complètement! Nous avons plusieurs types de demandes : des tour-opérateurs nous demandent des interventions sur leurs voyages, d’autres nous demandent un parcours un peu plus complet pour leurs voyages et nous avons également ceux qui souhaitent créer un projet de voyage en tant que tel. Ponant, par exemple, cherche à développer des croisières scientifiques.

 

Le tourisme scientifique est-il synonyme de tourisme durable ?

A partir du moment où le voyage est participatif, sur la dimension durable, il y a vraiment quelque chose à faire car on répond à une volonté de la clientèle . Les voyageurs ont besoin d’un prestataire pour quelque chose qu’ils ne peuvent faire seuls, donc le voyage participatif a de l’avenir et c’est d’autant plus intéressant qu’il permet de résoudre des problématiques liées au tourisme de masse, à la relation aux habitants locaux, etc. A partir du moment où il y a une viabilité économique pour les opérateurs de voyage et un intérêt des lieux touristiques pour ces types de voyages, il y a de l’avenir. En plus, dans le domaine scientifique, il y a toujours des gens qui se passionnent pour le sujet: des enfants pour les cailloux ou les dinosaures, des adultes qui ont toujours rêvé de voir des bonobos, des requins-baleines… ils vont donc être attirés par le voyage scientifique sans pour autant être scientifiques mais simplement passionnés et le voyage scientifique va répondre à leur recherche. Leur voyage pourra les amener à avoir un autre regard sur les sciences et sur leurs propres capacités et ils reviendront différents chez eux.

 

Quelques mots sur le salon Terra Scientifica que vous organisez en mars prochain ?

L’idée est de proposer un panel le plus complet possible aux voyageurs de la manière dont ils peuvent partir en sciences et s’émerveiller pendant ces quelques jours grâce aux conférences ou aux aventuriers qui seront présents. L’idée est d’aller plus loin et de proposer une forme de voyage différente auprès des entreprises, des CE, des services RH ou incentives ou encore de proposer des voyages scientifiques aux enfants.

Nous allons aussi chercher des exposants différents, des associations qui font déjà des voyages scolaires sur le thème de l’eau, des volcans, des organisations mais aussi des prescripteurs et le but est de les faire se rencontrer.

Pour les exposants, l’objectif de ce salon est de donner naissance à de nouveaux projets en amenant un laboratoire à rencontrer un agent de voyage ou une association et créer de nouveaux catalogues de voyages.