Pouvez-vous nous rappeler la définition d’un tiers-lieux ?
On trouve, derrière cette expression, une incroyable diversité de dynamiques, de lieux, de projets, d’acteurs, de collectifs. Qu’il soit espace de coworking, fablab, friche culturelle, makerspace…
Un tiers-lieu est un lieu qui mutualise des outils, des services, hybride des activités, crée et favorise l’émergence de nouvelles activités économiques en hyper-proximité favorisant la coopération pour répondre aux enjeux de leur territoire. Ce sont des lieux du faire ensemble où on y partage, au-delà des espaces, des projets, des expériences ou encore des compétences.
Pouvez-vous nous rappeler la genèse de France Tiers-Lieux ?
Le mouvement des tiers-lieux se développe maintenant depuis une quinzaine d’années en France parce que les tiers-lieux sont des acteurs incontournables dans les territoires, et qu’ils agissent concrètement pour répondre aux enjeux de notre société que sont l’écologie, la production, le numérique, la santé, ou encore l’alimentation. En septembre dernier, l’État a fait le choix de renforcer les moyens qui sont destinés aux tiers-lieux et réunir tous les acteurs pour mieux coordonner, simplifier, accélérer.
France Tiers-Lieux est donc devenu un groupement d’intérêt public qui réunit 6 membres fondateurs à son démarrage: le ministère de la Transition écologique et de la Cohésion des territoires, le ministère du Travail, le ministère de l’Enseignement supérieur et Recherche, le ministère de l’Économie, des Finances (Petites et moyennes entreprises) ainsi que l’Agence nationale de la cohésion des territoires (ANCT) et l’Association Nationale des Tiers-Lieux.
Quels sont vos objectifs et vos actions aujourd’hui ?
France Tiers-Lieux a pour objet d’appuyer l’émergence, le développement et la pérennisation des tiers-lieux en France. Cela passe tout d’abord par la co-construction et l’animation de politiques publiques pour co-concevoir les programmes avec les ministères. Ensuite, nous travaillons sur l’animation de ces réseaux constitués. Nous apportons également des compétences en ingénierie aux porteurs de projets pour accompagner l’émergence et la consolidation des tiers-lieux. Nous essayons aussi de structurer la filière et apporter un appui juridique, appuyer la reconnaissance métier. Et enfin nous observons et analysons les évolutions de l’écosystème du mouvement des tiers-lieux.
Faisons-nous face à une accélération de l’hybridation des lieux et des tiers-lieux ?
D’un phénomène émergent en 2018, nous pouvons affirmer sans détour qu’il s’agit d’un réel phénomène de société. Nous sommes passés de 1800 tiers-lieux recensés en 2018 à près de 2500 en 2021 et nous estimons qu’ils seront 3500 en 2023. C’est le plus large mouvement citoyen jamais observé depuis l’émergence du mouvement de l’éducation populaire et des Maisons des Jeunes et de la Culture.
En quelques chiffres que représentent l’activité des tiers-lieux en France ?
En 2021, les tiers-lieux en France ont généré plus de plus de 248 millions d’euros de chiffre d’affaires cumulé. En termes d’emplois, cela représente plus de 6 300 emplois directs qui font vivre ces tiers-lieux et plus de 150 000 personnes y travaillent quotidiennement: artisans, artistes, médiateurs numériques, développeurs web, entrepreneurs, télétravailleurs, travailleurs nomades, chercheurs, etc…. la liste est aussi diverse que les tiers-lieux. On estime que plus de 2 millions de personnes fréquentent chaque année un tiers-lieu pour agir ou participer à des projets collectifs.
Quelles sont les cibles des tiers-lieux ?
Chaque lieu est unique et répond à un besoin émergeant sur son territoire. Les tiers-lieux étant des espaces communs, partagés et conviviaux, ils ont vocation à attirer tous les habitants d’un territoire qu’ils soient résidents ou touristes. Pensez-vous que les tiers-lieux peuvent être une réponse aux besoins des voyageurs d’affaires en déplacement professionnel et plus largement des entreprises ? (bureau, espace connecté, espace de convivialité et de partage, autres…) Aujourd’hui, les tiers-lieux constituent des alternatives essentielles au travail à domicile. Ils fournissent un cadre approprié aux besoins des salariés, assurant de bonnes conditions matérielles, le maintien du lien social et une meilleure conciliation entre vie personnelle et vie professionnelle. Ils sont de nouvelles portes d’entrée dans les territoires pour les entreprises. Si le sujet du télétravail est central, on observe que de plus en plus de salariés viennent également pour d’autres raisons : trouver des compétences nouvelles, découvrir et mobiliser d’autres outils et équipements, expérimenter des démarches d’innovation ouverte dans le cadre de leurs projets et pour des voyages d’affaires.
Retrouvez-vous des initiatives de tiers-lieux qui intègrent une dimension touristique sur le territoire français ?
Parmi leurs expérimentations et leurs formes d’actions collectives, de plus en plus de tiers-lieux invitent les voyageurs à se détourner d’une posture de consommateurs en prenant part à des activités engagées. Il s’agit souvent de tiers-lieux disposant parfois d’une large surface bâtie, parfois d’anciens gîtes, leur permettant d’accueillir du tourisme.
Les activités touristiques permettent aux tiers-lieux d’accueillir de nouveaux visiteurs, de nouvelles énergies. Elles participent également à alimenter leurs modèles économiques hybrides où priment des formes de solidarité financière entre les activités : les plus lucratives (par exemple l’hébergement la restauration ou location d’espaces) permettent de soutenir celles qui le sont moins mais qui contribuent grandement à l’attractivité du tiers-lieu et à son utilité territoriale.
Très souvent en partenariat avec des offices de tourisme et des acteurs locaux, les tiers-lieux proposent une autre approche du tourisme et des territoires souvent à l’écart des métropoles urbaines. En effet, si la majorité des tiers-lieux se situait initialement dans les grands centres urbains, la tendance s’inverse avec désormais 52% des tiers-lieux en-dehors des 22 métropoles administratives françaises. C’est au cœur des périphéries, des quartiers prioritaires, des villes moyennes, des petites villes et des villages que s’exprime pleinement le potentiel des tiers-lieux.
Ces partenariats permettent une meilleure diffusion des activités des tiers-lieux au sein du territoire en s’inscrivant parmi les acteurs incontournables de l’animation locale. Ils constituent de formidables opportunités pour renforcer l’attractivité du territoire, en particulier pour des territoires en difficulté ou peu denses, où les espaces de rencontre, les lieux culturels et les pôles économiques se font plus rares et moins accessibles.
Avez-vous un exemple concret d’initiatives à nous partager ?
En Normandie, depuis 2021, le tiers-lieu l’Arbre[1] a accueilli 900 personnes pour l’équivalent d’environ 3 000 nuitées. Ancien corps de ferme, ce tiers-lieu agricole, culturel et associatif a été créé en 2020. L’offre d’hébergement proposé dans ce tiers-lieu normand ne faisait pas partie de leur projet initial. Implantée dans une zone touristique proche des plages du débarquement et de la ville de Bayeux, l’association met à disposition un ancien gîte pour des voyageurs à un tarif en dessous des offres d’hébergement disponibles sur le territoire. Labellisé “accueil vélo”, une grande majorité de leurs clients sont des cyclistes randonneurs qui viennent profiter de l’un des 15 couchages proposés ou de l’espace extérieur pour poser leur tente. Le gîte dispose de dortoirs ainsi que de 3 chambres doubles. Le tarif de la nuitée varie entre 5€ pour un emplacement de camping à 28€ par personne pour une chambre double. Des tarifs solidaires sont également mis en place notamment pour les étudiants. Ces voyageurs partagent des espaces communs tels qu’une cuisine, salle à manger, salon avec bibliothèque et accès à des jeux ainsi qu’une importante partie extérieure.
[1] https://www.tierslieularbre.org/