Basculement d’une pratique scientifique en une prestation touristique

Michel Messager

Poste : Directeur associé Consul Tours

Comment est né votre intérêt pour le tourisme spatial ?

C’est lors d’une discussion il y a 15 ans au Canada avec une entreprise qui s’intéressait à la fabrique de fusées pour envoyer des touristes dans l’espace que j’ai découvert le tourisme spatial. Je n’en avais jamais entendu parler. Or en regardant sur internet, j’ai vu défiler des centaines et des centaines de pages sur ce sujet. J’ai été interloqué et c’est à partir de ce moment-là que je m’y suis intéressé. C’était le tout début. Cela faisait à peine quatre-cinq ans qu’on abordait le sujet, bien avant SpaceX et compagnie. Depuis je fais des conférences et des interventions sur ce sujet et j’ai sorti un livre en 2020 ‘Le tourisme spatial’.

 

Il n’est plus possible d’associer comme c’était le cas au début du tourisme spatial à du tourisme uniquement scientifique ? Comment s’est effectué ce basculement d’une activité de recherche à une activité de loisir ?

La National Aeronautics and Space Administration, plus connue sous son acronyme NASA, n’est pas par définition branchée sur des activités liées au tourisme contrairement à des gens comme les trois majors – Blue Origin (Jeff Bezos), SpaceX (Elon Musk), Virgin Galactic (Richard Branson). Ces trois entreprises américaines ne raisonnent pas en tant que scientifiques, mais en commerçants et voient un potentiel de développement grâce au “new space” c’est-à-dire à la cession d’une partie du tourisme spatial à des opérateurs privés. La France n’a pas suivi. Elle était pourtant quasiment en avance avec la fusée Hermes et aurait pu être dans les majors du tourisme spatial. Mais en France et en Europe, on ne mélange pas habituellement les institutions, les chercheurs et les commerçants. C’est ainsi que récemment lors de la dernière conférence européenne sur le spatial qui s’est tenue à Toulouse en début d’année, le président Macron a rappelé que le spatial serait associé à la recherche et non au commerce. On peut le regretter, car au-delà du voyage dans l’espace, il y a tout ce qui gravite autour…

 

Justement, pouvez-vous nous parler de cette offre de tourisme spatial, parfois antérieure d’ailleurs au premier lancement de fusée avec des voyageurs ?

Le lancement de la fusée avec des voyageurs concerne très peu de personnes, de l’ordre de seulement 6 depuis le début d’année 2022. Il y a surtout tout ce qui gravite autour de la fusée et qui engendre tout ce que j’appelle les produits induits comme des hôtels dits spatiaux faits comme des hôtels dans l’espace. Par exemple, en France, le Futuroscope a un hôtel de 60 chambres imaginé comme un hôtel spatial. On en retrouve un autre en Thaïlande. On a aussi le projet d’hôtel Moon qui va s’ouvrir à Las Vegas. Les bases de lancement sont aussi devenues des espaces touristiques. Il faut savoir qu’une grosse partie des terrains alentour a été achetée pour faire des musées du spatial, des parcs d’attractions, y organiser des stages, des séminaires, etc. Il y a également tous les produits dérivés: par exemple des combinaisons spatiales proposées par Nike. Il y a de tout dans cette économie de l’espace: de l’envoi de ceps de vignes pour étudier leur comportement dans l’espace à l’envoi de ses cendres pour un dernier voyage avec bien évidemment l’application mobile permettant aux aïeuls d’accompagner la balade… On n’avait peut-être pas besoin d’envisager des activités liées à l’espace, mais les États-Unis étaient dans une crise économique et les projets se sont tournés vers l’espace. Lorsqu’ils sont allés sur la lune, cela a créé des centaines de milliers d’emplois. C’est un peu l’histoire qui se répète. Au-delà des voyages dans l’espace, ce sont tous les produits induits et dérivés qu’il faut prendre en considération pour déterminer le périmètre du tourisme spatial. En ce moment on est en train d’étudier et de construire des spaceports, des cosmodromes et on y met tout autour des parcs d’attractions, des hôtels, etc. Cela commence à se construire en Inde, en Chine, au Japon et aux États-Unis.

 

On est donc loin de la démocratisation du tourisme spatial en ce qui concerne l’expédition en fusée ?

En effet, pas de démocratisation pour le moment. Elle se fera en fonction du nombre d’envois et en fonction de la capacité à réutiliser la fusée. Avant, quand on envoyait une fusée, elle se désolidarisait de la capsule, elle brûlait dans l’espace quand elle rentrait. Aujourd’hui, les fusées reviennent et ça on le doit à Jeff Bezos (Amazon). Par exemple, il est capable en 15h avec 30 personnes, de faire repartir une fusée qui vient d’atterrir.

 

Faut-il une forme physique ou un entraînement particulier pour faire ces expéditions ?

Non, rien de particulier. Si vous voyez la fusée de Bezos, il n’y a même pas de pilote à bord, les voyageurs sont assis et attendent que cela se passe. En réalité, il y a deux marchés de l’espace. Celui qui va à 100 km, c’est une ligne qu’on appelle la ligne de Karman. Son coût est entre 250 et 350 000 dollars. C’est commercialisé par Virgin Galactic et Jeff Bezos. Au-dessus de 100km c’est ce qu’on appelle le vol orbital et là c’est de l’ordre des 40 millions de dollars. Par contre, on reste 7 à 8 jours dans la station spatiale où on est en orbite autour de la terre.

 

Dans le développement de ce tourisme spatial, y a-t- il une volonté d’aller toujours plus haut, toujours plus loin ?

Il y a deux conceptions, celle de Branson pour faire de la monnaie, même s’il est un peu encalminé depuis un an puisqu’il n’a rien fait partir et celle plus philosophique de Musk et Bezos. Ceux-ci partent du principe que la population de la planète va doubler dans 30 ans. Il faudra bien apporter des solutions. C’est pour eux le problème écologique numéro un. Ils ont eu le même professeur de philosophie, maître à penser, pour lequel les hommes iraient vers d’autres planètes pour justement éviter la multiplication de la population.

 

Peut-on parler alors d’une vision durable dans le sens écologique pour le tourisme ?

Il faut déjà que les écologistes s’intéressent au problème et ce n’est pas le cas. C’est vrai que le tourisme spatial représente une part infime des émissions de C02 par rapport à l’aérien qui en représente 2,5%. Donc pour le moment, on n’en parle pas trop. Néanmoins ce qu’il faut voir c’est qu’ils font beaucoup d’efforts parce qu’ils savent très bien que la génération qui va partir, c’est celle qui a aujourd’hui entre 18 et 30 ans, et que cette génération n’a pas pour priorité l’espace. Sa priorité c’est la sauvegarde de la planète et s’ils ne font pas d’efforts, ça risque de les handicaper fortement au niveau de leur développement. Alors ils font des efforts sur trois choses:

1- Sur les carburants: très difficile de savoir exactement comment, car celui qui trouvera le carburant le plus propre remportera le jackpot. Par exemple, on voit qu’ Elon Musk et Bill Gates travaillent sur le même procédé où l’on prendrait du C02 pour le transformer en carburant à l’intérieur de la fusée.

2- Le nettoyage de l’espace: il y a quand même 130 millions de débris au-dessus de nos têtes. Plus il y aura de voyages dans l’espace, plus il y aura de problèmes. Il faut savoir qu’un millimètre dans l’espace, à la vitesse où ça va, correspond à la force d’une boule de bowling sur une quille . Un débris qui se détache et qui rencontre d’autres débris, crée, des milliers d’autres débris. Des fusées poubelles sont utilisées pour ramasser des débris. C’est un nouveau marché qui va se créer et à mon avis qui va être assez profitable.

3- Les matériaux des fusées elles-mêmes: par exemple, la plus grosse société japonaise de bois est en train de monter des satellites en bois. Il y en a d’autres qui font des fusées qui vont s’auto consommer au fur et à mesure. Le premier étage va brûler totalement, puis le deuxième aussi, etc. Il y a pde nombreuses initiatives également pour repenser la construction des fusées et limiter les déchets qu’elles peuvent produire dès leur conception.

 

Où en est-on des réglementations sur le tourisme spatial ?

Pour le moment, tout le monde peut faire ce qu’il veut. L’Europe vient de sortir un code de la route pour réguler le trafic spatial. Cependant, ce n’est pas un acteur majeur, tout est entre les mains des Américains, des Chinois et des Russes. C’est compliqué à réguler surtout qu’il y a des pays comme le Luxembourg ou les Émirats arabes unis qui font leurs propres lois de l’espace. Sans oublier la dimension commerciale sur les ressources naturelles comme les métaux rares. Par exemple, vous avez un astéroïde, le plus proche de la terre, où le poids des métaux rares équivaut à deux fois le PIB de la France. C’est un autre marché que l’on connaît moins, mais la vraie course peut être là.

 

Peut-on imaginer du tourisme spatial pour Mars ?

C’est le but de tout le monde. Au début, ça sera sans retour. Par la suite, il y aura quand même des étapes avec des hôtels spatiaux qui ne seront plus forcément des hôtels, mais des multiplications des stations spatiales où la répartition sera faite selon les besoins, pour les touristes, pour les réparations de fusées, pour la recherche, etc. Tout le monde travaille sur les futures stations spatiales, les Russes, les Chinois et notamment la NASA qui a donné des millions de dollars pour encourager la création de nouvelles stations. Les Émirats sont en train de construire une station spatiale médicales car les touristes pourraient tomber malades…

 

Ces scénarios peuvent faire sourire, sommes nous dans de la science-fiction ?

Quand j’ai commencé à travailler sur ce sujet, les gens riaient, mais maintenant ils se rendent compte que cela se passe. Il faut faire la comparaison avec le train. Si l’on relit les premières publications sur les trains, on retrouve cette même appréhension. On comprend tout de suite que c’est ce qui se passe dans le spatial. Il n’y avait pas la dimension écologique, mais c’est pareil.