Mutualiser l’expédition touristique et la recherche scientifique

Wassim Daoud

Poste : Directeur de la RSE et du développement durable, PONANT

Pourriez-vous vous présenter et nous présenter Ponant ?

Je suis le directeur de la RSE (Responsabilité Sociétale de l’Entreprise) et du développement durable chez Ponant depuis 4 ans. Je suis responsable de tous les aspects de durabilité, de responsabilité de l’entreprise au sens à la fois humain et naturel, environnement et social. L’humain est très important dans le tourisme et Ponant est une entreprise de croisière maritime et plus largement de voyage, puisque nous offrons une expérience post et pré croisière, et bien sûr croisière car nous avons aujourd’hui 13 bateaux de petite taille.
L’entreprise existe depuis plus de 30 ans, elle a été créée par des officiers de la marine marchande et avait dès le départ cet objectif de faire voyager les passagers, de leur faire découvrir le monde tout en respectant l’homme et la nature.
Depuis sa création, c’est resté l’ADN de l’entreprise. Notre premier bateau, Le Ponant, a été conçu avec seulement 32 cabines et des voiles. Bien sûr la flotte a évolué, aujourd’hui nous avons 13 bateaux mais qui restent à taille humaine, avec un nombre de passagers oscillant entre 16 et 300.
Nous visons l’excellence, donc la qualité et le service, mais en aucun cas la quantité. L’excellence de service est vraiment le modèle économique de l’entreprise et la taille et la qualité des navires nous permettent d’aller partout avec cette notion de préservation. Cette sensibilité à l’environnement a toujours été présente. À quel moment s’est-elle accélérée.

 

Quand ont été créées ces missions RSE ?

Cette sensibilité existe depuis notre création, l’entreprise a surtout mis en évidence la qualité environnementale de ses bateaux. La différence c’est qu’avec l’expérience nous avons élargi notre scope, notre façon de voir les choses : nous ne regardons pas seulement les bateaux mais notre activité dans son système global avec une structuration plus qu’une accélération. Cette structuration de la démarche est initiée depuis 4 ans, ce qui nous a permis de créer une stratégie de développement durable avec des objectifs et un plan d’action clairs où l’accent est mis sur l’humain, pas seulement en interne mais aussi envers les parties prenantes avec qui nous opérons et interagissons : les collaborateurs, les passagers, les communautés locales et les scientifiques pour les intégrer au maximum.
Vous avez inauguré il y a quelques mois le navire Commandant Charcot qui intègre un laboratoire de recherche.

 

Pouvez-vous nous dire quelques mots sur ses missions et objectifs et pourquoi intégrer cet aspect recherche au sein de vos navires ?

Depuis une dizaine d’années, nous avons compris que nous avons la chance d’aller dans des endroits où très peu de personnes vont. Nous avons aussi senti l’intérêt de partager ça avec la communauté scientifique parce que l’on connaît les difficultés qu’ont les scientifiques pour avoir des missions en mer, surtout dans ces zones reculées et plus particulièrement les régions polaires. La conception du Commandant Charcot a débuté il y a 7/8 ans et dès le début, nous souhaitions profiter de ce nouveau navire pour y intégrer un espace pour la science. Nous avons misé sur l’innovation pour ce nouveau navire, ce qui a pris beaucoup de temps, car il a fallu 6 ans entre sa conception et sa réception.
Nous avons misé sur la partie propulsion au gaz, batterie et diesel, triplement hybride et avons créé deux laboratoires scientifiques à bord: un sec et un humide. Deux cabines sont dédiées à temps plein pour la recherche scientifique. Nous nous sommes structurés en interne pour pouvoir accueillir dès la première croisière en octobre 2021 des scientifiques. Le poste de responsable sciences a été créé au siège et nous avons également recruté deux coordinateurs scientifiques à bord. Nous avons aussi mis en place en parallèle un programme de sciences participatives ou citoyennes pour les passagers. Il s’agit d’un programme volontaire d’expérience scientifique auquel ils peuvent participer. Enfin, nous avons mis en place une collaboration avec Polar collectif, une association qui propose un panel d’expériences avec les passagers sur des carottages, des prélèvements d’échantillons d’eau ou de sédiments, des observations à bord, sur des relevés météo. L’idée est non seulement de faire participer mais aussi d’améliorer l’éducation des passagers sur l’environnement visité.

 

Aujourd’hui est-ce une demande des passagers de pouvoir participer à cette expérience scientifique ou est-ce l’offre qui a créé la demande ?

Nous avons d’abord fait des focus groupes, c’est à dire des questionnaires pour les clients, mais nous partions du principe qu’il fallait être force de proposition car c’est nouveau et les clients qui vont sur ce type de bateau sont plutôt sensibles au sujet de la préservation de l’environnement. Les passagers vont pouvoir assister à des conférences données par les scientifiques, ce qui va leur donner envie de participer à plus d’expériences scientifiques. C’est aussi un des avantages à avoir des scientifiques à bord. Ce n’est pas un programme obligatoire, ça reste volontaire mais nous avons vu une évolution du nombre de passagers intéressés par ce type d’expérience. Les coordinateurs et animateurs scientifiques à bord nous ont rapporté un engouement autour de la science sur nos bateaux. Mais il ne faut pas non plus croire que c’est la première raison pour laquelle le voyageur part. D’ailleurs, nous communiquons peu sur cette thématique, nous ne lions pas le programme de croisière aux scientifiques à bord. Nous ne voulons pas mettre de contrainte spécifique sur les scientifiques, ils sont là pour faire leurs recherches, leurs programmes et, accessoirement, partager volontairement avec les passagers mais ça se fait d’une manière naturelle et quasiment tous les scientifiques le font. C’est un engagement que nous avons pris pour ne pas avoir d’amalgame entre sciences et communication et marketing, pour que la science soit vraiment là pour la science et le partage se fait vraiment d’une manière humaine et naturelle.

 

Comment se passe la construction de ces expériences scientifiques ?

D’abord, nous avons créé un cahier des charges pour pouvoir porter un projet candidat à bord. Nous sommes allés chercher les premiers projets car c’était nouveau et il fallait tester le modèle. A partir de cette année, nous avons mis en place des partenariats, notamment avec un projet européen qui s’appelle Arice, qui regroupe tous les brise-glaces scientifiques, et c’est ce collectif qui a géré un appel à projets. C’est comme un comité scientifique mais à chaque fois, il nous faut recouper avec eux la faisabilité des opérations car nous sommes les plus à même de connaître les limites du bateau. Il nous faut également étudier la faisabilité et l’adaptabilité des attentes des scientifiques par rapport à ce qu’il est possible de faire.

 

Peut-on considérer que cette offre contribue à une vision durable du secteur ? Parlez-vous de tourisme scientifique ou pas du tout ?

Nous sommes encore au début de la démarche, notre objectif est d’abord de renforcer les projets scientifiques à bord du Commandant Charcot et progressivement d’élargir l’accueil de scientifiques sur le reste des bateaux. Si nous avons de nouveaux bateaux, ce sera certainement avec la science car c’est désormais intégré à notre démarche. Aujourd’hui, ce qui est en réflexion, ce sont des croisières ou des voyages conçus dès le départ pour la science ou avec les scientifiques, avec des itinéraires ou programmes dédiés à la science. Ce marché ne sera pas assez important pour ne faire que du tourisme scientifique mais cela pourrait évoluer dans les prochaines années. C’est un mode qui permet aussi d’éduquer les passagers et d’enrichir leurs connaissances et c’est intéressant car ce sont deux mondes qui ne se côtoient pas particulièrement habituellement. Quand je parle de la science, je ne parle pas que des sciences dures, il y a aussi les sciences humaines, les sciences de la santé… Nous avons fait une mission sur la gestion des déchets sur place (pas seulement nos déchets mais ce qu’il advient des déchets des bateaux en Islande) et deux missions orientées essentiellement sur le tourisme durable sur l’accueil des communautés locales, leurs attentes, les différentes parties prenantes, les passagers, les guides naturalistes à bord car nous avons la chance d’en avoir en plus des scientifiques. Donc pour nous, la science est au sens large et pas seulement au niveau des prélèvements, des échantillons d’eau, de glace, de sédiments.

 

Avez-vous d’autres illustrations de ce qu’est la RSE au sein d’une compagnie de croisière ?

Nous avons axé notre démarche principalement sur trois volets. Parmi eux, le volet environnement et biodiversité avec la réduction de toutes les pollutions possibles. Sur notre bateau, toutes les eaux rejetées sont traitées avant rejet, nous utilisons de l’eau de mer désalinisée, utilisée, retraitée et remise à la mer