Des projets de territoire pour préserver des environnements

Isabelle Kahna

Poste : Les Ailes de Venise, Fondatrice

De quelle manière « Les Ailes de Venise » contribuent-elles à une meilleure compréhension et valorisation du territoire italien ?

L’objectif central des « Ailes de Venise » est d’engager les touristes et les locaux dans une expérience de tourisme durable qui favorise une compréhension plus profonde et plus nuancée de Venise, et par extension, du territoire italien. Nous visons à réduire les frictions entre les touristes et les locaux en permettant aux voyageurs de participer aux projets des associations vénitiennes ou italiennes locales par l’offre de matériel.

Ils deviennent partenaires des Vénitiens en adhérant à notre communauté à travers soit la formation en ligne et avec un professeur “Devenez Z’Ailé” (apprentissage de l’italien, conférences sur l’Italie et la culture italienne) soit pour les entreprises ou les groupes scolaires en concevant avec les Ailes de Venise leur séminaire responsable et en rencontrant ces fameuses associations.

L’idée est de donner du sens aux voyages que nous organisons pour ces entreprises ou ces écoles, de contribuer à régénérer la destination qui accueille en offrant du matériel et veiller à les éduquer sur la nécessité d’un impact carbone bas.

Sur les réseaux sociaux, nous mettons en valeur d’autres destinations que les grandes villes italiennes surfréquentées. Nous proposons nos chemins alternatifs durant les périodes de grandes fréquentations, notamment en été. Ils mettent en lumière la diversité culturelle, historique et environnementale de Venise et des régions avoisinantes.

L’ objectif est de désengorger les territoires surfréquentés pour valoriser des régions ou villes moins connues. A travers nos publications Programme “Detourism” sur Instagram, nous valorisons l’artisanat local et soulignons les difficultés qu’il rencontre (Hausse du gaz pour les souffleurs de verre, concurrence magasins de pacotille pour Venise par exemple). Nous veillons à ce que la communauté locale soit activement impliquée dans ces voyages, bénéficiant ainsi directement de cette activité économique. Cela engendre une valorisation économique et culturelle du territoire.

En somme, nous essayons de créer un modèle de tourisme qui soit rentable à la fois pour les visiteurs et les habitants, tout en favorisant une meilleure compréhension et valorisation du territoire italien.

Comment travaillez-vous avec les acteurs locaux pour assurer un tourisme respectueux et bénéfique pour les communautés ?

Par des consultations et collaborations actives. Avant de lancer tout nouveau programme de soutien, nous engageons des discussions avec les acteurs locaux. Cela nous permet de comprendre leurs besoins, leurs défis et leurs attentes envers les projets qu’ils ont définis pour l’année. Ces associations ont des objectifs communautaires, culturels ou environnementaux. On retrouve par exemple une association de ramassage et recyclage de plastique, de la restauration de barques historiques vénitiennes, de la plantation dans les jardins ou encore la mise en valeur dans nos itinéraires d’artisans locaux avec carte intéractive.

Comment votre entreprise s’assure-t-elle que les touristes ont une compréhension authentique et respectueuse des lieux qu’ils visitent ?

En premier lieu, par l’éducation et la sensibilisation. Nos programmes éducatifs via une plateforme électronique visent à instruire les touristes sur l’importance de la conservation du patrimoine culturel et environnemental. Des conférences avec des locaux sur l’histoire de l’art, la cuisine locale, le cinéma, l’artisanat sont organisées. Certaines en collaboration directe avec les associations vénitiennes qui nous font un état des lieux du projet soutenu.

Nos nombreuses publications réseaux sociaux permettent de garder un contact avec l’Italie via la participation en direct à des fêtes historiques locales (Regata Storica, Vogalonga pour Venise, etc), via les rencontres avec les locaux lors de la remise de matériel, via la charte du voyageur qui est remise aux participants des séminaires ou voyages scolaires et qui sera prochainement diffusée via les réseaux sociaux.

Nous incitons aussi à utiliser des modes de transport à plus faible impact carbone en sensibilisant sur la différence d’impact carbone, à respecter les codes de bonne conduite. Cette année, nous mettrons en place pour chaque séminaire/voyage solidaire et éco-responsable un calculateur professionnel type greenly qui sera accessible via une application web remise aux participants.

Mais cela passe aussi, par les rencontres terrain avec les associations vénitiennes notamment lors des séminaires d’entreprises qui souhaitent évoquer le sujet de la RSE et donc indirectement de la RSV (Responsabilité Sociétale du Voyageur) et des voyages scolaires.

Quels sont les principaux défis auxquels vous êtes confrontés pour assurer une collaboration efficace avec les acteurs locaux ?

Le premier obstacle a été la barrière linguistique et culturelle. D’où l’importance de l’apprentissage de l’italien car cette barrière de la langue peut entraver une communication efficace.

Un autre obstacle a été la méfiance de certains membres de la communauté locale envers le tourisme en général, en raison de ses impacts négatifs. Mais le fait de travailler ensemble sur leurs projets et d’apporter une aide concrète et visible a permis de lever depuis 5 ans cette barrière.

Un autre obstacle est la confrontation des deux mondes : associatif et professionnel. Les intérêts des différents acteurs locaux peuvent ne pas toujours être alignés. Par exemple, il faut établir la confiance et veiller à ce que les séminaires se fassent pendant les périodes plus calmes ou dans des lieux moins fréquentés alors que les intérêts purement business pourraient être autres. D’autre part, on tente de mixer le monde professionnel avec ses exigences (séminaires d’entreprises) et le monde associatif (bénévole donc moins contraints notamment en terme de présence ou de disponibilité).

Enfin, les processus bureaucratiques pour obtenir des autorisations pour la mise en place de projet peuvent être longs et compliqués en Italie.

Comment mesurez-vous l’impact de vos initiatives ?

Nous tenons à mesurer les impacts sur le territoire et à évoluer vers un voyage à bas impact carbone via une application remise aux participants du voyage qui leur permet de consulter le planning du voyage, la charte du voyageur, les actions ayant permis de diminuer l’impact du voyage réalisé et comment améliorer les futurs voyages. Nous visons dans l’année à professionnaliser et affiner le calcul de l’impact du voyage en se rapprochant notamment de la norme ISO20121 qui dicte la conduite des événements durables. Pour le moment, nous nous servons des données de l’ADEME et notamment ImpactforCO2.

Financièrement, nous sommes une entreprise sociale et solidaire et 10% de nos bénéfices est consacré à offrir du matériel et seulement du matériel aux associations sélectionnées.

En termes d’impact auprès de la population des voyageurs, les nombreux followers témoignent de l’écoute de nos actions (20 000 followers FB et 5000 Instagram). En 2022, nous avons observé plus d’un million et demi de vues de nos publications. Encore plus concrètement, on compte plus de 500 à nos démarches pour soutenir les projets vénitiens depuis 5 ans et surtout la demande croissante face à nos propositions de séminaires durables et solidaires.

Comment voyez-vous l’évolution du tourisme en Italie dans les années à venir ?

Préoccupante pour le patrimoine et l’environnement si les moyens ne sont pas mis pour désengorger les villes les plus connues et pour attirer vers d’autres territoires. L’Italie est un pays déjà très fréquenté, le fait de veiller à ce que les voyages aient moins d’impact carbone va en faire au niveau de l’Europe une zone cible très prisée.

Quelles sont les initiatives ou les projets que vous avez mis en place pour favoriser l’engagement et la participation active des communautés locales ?

Avec l’accent croissant mis sur le tourisme durable et responsable, nous espérons voir un changement de paradigme et nous n’hésitons pas à parler de Responsabilité Sociétale du Voyageur et de la nécessité de s’impliquer dans le monde que l’on construit pour demain. Dans les séminaires, la RSV est mise en parallèle de la RSE. La qualité doit remplacer la quantité. L’Italie, avec sa riche histoire et sa diversité culturelle, a beaucoup à offrir au-delà des sites les plus connus.

Comment garantissez-vous que les bénéfices du tourisme sont équitablement redistribués parmi les acteurs locaux ?

10% des bénéfices donc c’est clair et vérifiable sur demande. Nous n’offrons que du matériel et chaque remise est filmée et diffusée sur le site internet et les réseaux sociaux.

Avez-vous des exemples concrets de succès ?

Oui, nous avons par exemple remis des pinceaux et des pots de gel à Masegni et Nizioleti qui enlèvent les graffitis des murs de Venise. Nous avons également fourni des bâches de protection du pont, du cordage et des moteurs à pompe auprès de Il Nuovo Trionfo qui s’occupe de la restauration de la barque historique vénitienne. Lors du Covid 19, nous avons acheté du matériel pour un hôpital. Enfin, nous avons participé à la mise en valeur des boutiques des artisans du cloître de la Giudecca sur le parcours touristique grâce à la constitution de panneaux de signalisation.

Quelles sont vos méthodes pour rester constamment informé et adapté aux évolutions et aux besoins du territoire ?

Essentiellement par la veille médiatique et nos nombreux déplacements sur place. Nous suivons activement les actualités locales, nationales et internationales qui pourraient affecter le tourisme ou la communauté locale. Nous sommes membres des Acteurs du Tourisme Durable et bientôt de son équivalent italien AITR et ne manquons pas les séminaires, colloques, interviews dispensés par ces derniers. Nous encourageons activement les voyageurs et les associations à partager leurs expériences et leurs suggestions, ce qui nous offre une perspective unique sur les besoins et les attentes des deux parties.